La mission justice économique : une nouvelle mesure en faveur de la prévention des difficultés des entreprises

Depuis plusieurs mois et en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, le Gouvernement s’est mobilisé pour proposer plusieurs mesures d’urgence de soutien à l’économie et aux entreprises (report des charges, prêts garantis par l’Etat, fonds de solidarité pour les TPE).

Corrélativement à cette volonté de relancer l’activité économique, le Gouvernement a souhaité appliquer un nouveau dispositif pour pallier le risque de défaillance de certaines entreprises.

Pour ce faire, il est nécessaire de rappeler brièvement les différents moyens de prévention des difficultés mis à la disposition des entreprises (I), avant de voir plus en détail la notion de mission sur la justice économique (II)

I. Les différents moyens de prévention des difficultés des entreprises françaises

Que les difficultés de l’entreprise concernent des aspects économiques, financiers, sociaux ou organisationnels, le législateur français a pris le soin de mettre en place différentes techniques de prévention des difficultés des entreprises.

La loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, a introduit divers dispositifs destinés à prévenir les difficultés d’une entreprise afin d’agir, notamment par le biais d’accords amiables, avant que l’ouverture d’une procédure collective ne devienne inévitable. 

Tel est le cas du mandat ad hoc (solution amiable préventive permettant à un mandataire ad hoc d’aider le débiteur à négocier les contrats avec ses créanciers), de la conciliation (procédure amiable préventive avec contrôle judiciaire permettant à un conciliateur de négocier des solutions entre le débiteur et ses créanciers) ou encore de la procédure de sauvegarde (procédure judiciaire préventive).

Parmi ces dispositifs offerts au chef entreprise, il existe également des moyens de prévention permettant à des tiers de révéler les difficultés d’un débiteur défaillant (pouvoir de convocation du chef d’entreprise par le président du tribunal, procédures d’alerte).

Afin d’accéder à l’ouverture de ces procédures amiables (ou judiciaires), il est nécessaire pour le débiteur défaillant de démontrer l’existence de ses difficultés qui peuvent parfois aller jusqu’à la cessation des paiements.

Pour rappel, la jurisprudence définit la cessation des paiements comme « l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». Autrement dit, cela signifie la date à laquelle l’entreprise n’a plus été en mesure de faire face à ses dettes.

La date de cessation des paiements est fixée par jugement, que ce soit le jugement d’ouverture de la procédure collective ou un jugement dit de « report » de la date de cessation des paiements, rendu ultérieurement.

La fixation de la date de cessation des paiements est particulièrement importante dans le cadre de la procédure amiable de conciliation puisqu’il y aura la possibilité d’engager cette procédure jusqu’à 45 jours après la date de cessation des paiements.  

La déclaration de cessation des paiements permettra de déclencher, le cas échéant, une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’égard de l’entreprise. 

Dans le cadre du mandat ad hoc et de la procédure de sauvegarde, l’entreprise devra prouver l’existence de difficultés, sans pour autant être en état de cessation des paiements.

En tout état de cause, c’est à l’occasion d’une demande de procédure amiable ou judiciaire, que le chef d’entreprise doit demander au président du tribunal compétent l’ouverture de la procédure. Il devra par conséquent nécessairement motiver sa décision. 

Néanmoins, force est de constater qu’un grand nombre de chefs d’entreprises tardent souvent à admettre l’existence de difficultés, soit par déni ou ignorance des dispositifs existants, soit tout simplement par crainte d’engager une procédure.

En effet, un chef d’entreprise qui fait face à des difficultés pourra être tenté de les négliger, en considérant que la situation de son entreprise pourra se redresser avec le temps. 

Or, la pratique démontre aujourd’hui un taux élevé d’échec des procédures collectives qui est fortement dû, in fine, à un déclenchement tardif de ces dernières.

Ainsi, plus l’entreprise anticipe les difficultés auxquelles elle peut faire face, plus elle sera en mesure de se redresser. C’est pourquoi la prévention des difficultés des entreprises est primordiale.

Malgré les dispositifs de prévention permettant de favoriser la sauvegarde de l’activité et de l’emploi, la crise sanitaire actuelle impacte fortement l’activité des entreprises et des exploitations agricoles. Prenant acte de ce contexte, le Gouvernement a mis en place un nouveau dispositif en faveur de la prévention des difficultés des entreprises.

II. Présentation de la mission sur la justice économique

Par un communiqué de presse du 5 octobre 2020le Gouvernement a lancé la « mission justice économique ».

La mission sur la justice économique a été installée par plusieurs membres du Gouvernement : Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée, chargée de l’Industrie, et Alain Griset, ministre délégué, chargé des Petites et Moyennes Entreprises.

Cette mission a été confiée à Georges Richelme, président de la conférence générale des juges consulaires de France.

L’objectif du Gouvernement est que le service public de la justice prenne en charge de façon plus prononcée les entreprises exposées à un risque de défaillance en raison de la crise sanitaire

L’objectif de cette mission de justice économique vise à établir « un état des lieux de l’ensemble des pratiques actuellement mises en œuvre, dans le cadre judiciaire ou hors de ce cadre » afin de promouvoir deux actions :

  • Détecter et prévenir les difficultés des entreprises ;
  • Accueillir et accompagner les entrepreneurs individuels, exploitants agricoles et dirigeants d’entreprises.

Pour le ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance : « La détection précoce des entreprises en difficulté est une de nos préoccupations majeures, sur laquelle nous avons enregistré des progrès significatifs depuis deux ans. Mais celle-ci doit être prolongée par un accompagnement adapté de ces entreprises, favorisé notamment par une coordination accrue des différents intervenants, et en particulier des tribunaux de commerce. La mission installée aujourd’hui devra nous fournir des propositions concrètes à ce sujet ».

Ainsi, le Gouvernement souhaite que les tribunaux de commerce et les tribunaux judiciaires accompagnent davantage les différents entrepreneurs, commerçants et agriculteurs afin d’aider ces derniers à sortir d’une situation économique difficile.

Les mesures prises par le Gouvernement montrent une réelle prise de conscience des difficultés rencontrées par les chefs d’entreprise à faire appel à la justice pour anticiper leurs problèmes. Cette mission de justice économique est ainsi une réelle volonté de relier et solidariser le monde de la justice avec le monde de l’entreprise.

Selon Éric Dupond-Moretti : « La justice doit protéger et accompagner les entreprises dans la crise économique que nous traversons. La crainte du juge et parfois la honte font souvent perdre aux chefs d’entreprises justiciables un temps précieux pendant lequel des procédures de prévention pourraient normalement être mises en place. C’est précisément pour lutter contre cela que nous installons aujourd’hui cette mission. »

Malgré le communiqué du Gouvernement, certaines questions restent en suspens : 

  • Quid de l’efficacité de ce dispositif à l’égard des chefs d’entreprise ? 
  • Quid de la capacité des tribunaux à prévenir davantage le risque de défaillance des entreprises au regard des moyens qui leur sont accordés ?

Il convient désormais d’attendre les nouvelles recommandations d’amélioration et de coordination qui sont prévues pour la fin de l’année 2020…

Claudia LANGRENAY

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *