Les transporteurs terrestres de marchandises en tout genre rencontrent une hausse de vols de leurs cargaisons depuis le premier confinement qui a débuté le 17 mars dernier. Ces vols ont été rescensés par l’organisation TAPA (Transported Asset Protection Association) non seulement en France mais aussi dans les autres pays d’Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique.
Plus de la moitié des transporteurs membres (65,7%) de l’organisation TAPA ont communiqué une somme de 85 millions d’euros de vols au premier semestre, contre 55 millions d’euros pour la même période en 2019, ce qui fait une augmentation de 64% des vols.
Cette augmentation est probablement due en partie aux restrictions sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie de la Covid-19, qui avaient réduit les services offerts sur les aires de repos, par un arrêté du 19 mars 2020 sur les diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
Outre cette constatation, quid de la responsabilité du transporteur face à cette forte augmentation des vols de cargaison ?
La survenance d’un risque de vol des marchandises dans une opération de transport s’accompagne incontestablement d’une présomption de responsabilité des intervenants à l’opération de transport. Cependant, le transporteur étant au cœur de cette pyramide de responsabilité, cette question est sans doute au premier rang des problèmes majeurs que rencontrent actuellement le secteur face à la montée des vols de cargaisons.
Pour rappel, que ce soit en régime international posé par la Convention internationale des marchandises par route dite la CMR signée à Genève le 19 mai 1956 et modifiée par le protocole du 5 juillet 1978, ou en régime interne du Code de commerce, il pèse sur le transporteur routier une responsabilité ; laquelle couvre la période allant du moment de la prise en charge des marchandises jusqu’au moment de la livraison de ces marchandises (cf. article 17 §1 CMR et art. L.133-1 Code de commerce).
Le transporteur étant donc garant des marchandises sous sa garde, il ne peut s’exonérer à l’avance de sa responsabilité en cas de perte ou d’avarie des marchandises sauf, pour lui, à démontrer qu’il s’agit d’un cas de force majeure ou des cas limitativement énumérés par la loi et la jurisprudence (vice propre de la marchandise, faute de l’ayant droit ou un ordre de celui-ci).
Ainsi donc, il parait judicieux de s’interroger sur la responsabilité du transporteur routier confronté à cette augmentation accrue de vols des cargaisons.
En effet ! Le vol en soi n’est pas une cause exonératoire de responsabilité du transporteur. De plus, les tribunaux n’accordent aucune indulgence au transporteur en cas de perte des marchandises transportées puisque ce dernier, en sa qualité de professionnel et en « bon père de famille », est tenu de veiller à la sécurité des cargaisons, de déplacer les marchandises en toute sécurité et par conséquent de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les marchandises.
Pour illustrer nos propos, récemment dans un arrêt du 21 novembre 2018 ((https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2018/12/fl0212xd2111-932.pdf), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Toulouse le 27 juillet 2016 (arrêt n°477, 2e chambre, 27 Juillet 2016 – n° 14/06274) en reconnaissant la faute inexcusable du transporteur professionnel qui « a stationné la nuit dans un site isolé en pleine campagne, une remorque non cadenassée chargée de marchandises sensibles, sans aucun dispositif de fermeture, sans aucune surveillance effective, sur un terrain non surveillé et ce, en contradiction flagrante avec les instructions reçues. »
Dans cet arrêt, la cour de cassation a considéré que « le seuil de la simple négligence est dépassé puisque l’acte du transporteur professionnel est commis témérairement avec conscience que ce dommage en résulterait probablement. »
En outre, cet arrêt concourt au renforcement de la responsabilité du transporteur. Et sans aucun doute, en cas de vols des cargaisons, les juges vont analyser le comportement ou l’acte du transporteur et tous les contours du dommage. Si la faute inexcusable du transporteur est retenue, celui-ci ne pourra se prévaloir d’une quelconque limitation d’indemnisation et devra indemniser la totalité du préjudice subi par le destinataire ou l’ayant droit des marchandises.
Et c’est dans l’actualité de la crise sanitaire du Covid-19, que l’article 22 du Décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 indique les mesures dites « barrières » à prendre pour les transporteurs de marchandises, et permet la réouverture de toutes les aires de stationnement ainsi que leurs services annexes.
De ce fait, par cette réouverture des lieux de repos pour les transporteurs routiers, nous pourrions espérer que les vols de fret diminueront. En effet, cela permettra un retour « presque » à la normal, avec une plus haute fréquentation des aires, qui dissuadera peut-être les malfaiteurs d’engager ce genre d’opération.
Or, ce n’est que pure spéculation. Rien actuellement ne permet d’affirmer que par ces nouvelles mesures, la diminution des vols de fret sera effective. Il faudrait ainsi proposer des solutions concrètes afin d’éviter une nouvelle augmentation lors de ce second confinement.
Cela peut se traduire par exemple, par la mise en place d’une vidéosurveillance dans les conteneurs, permettant une livraison filmée lors du transport, à des fins de preuve qui pourrait être à l’avantage du transporteur. Mais la législation le permettrait-elle ?Il est possible de le faire afin d’assurer la sécurité des locaux, des biens et des personnes selon le Code du travail. Mais beaucoup de contraintes s’appliqueraient à la mise en place de ce dispositif : telle que l’autorisation des Hauts fonctionnaires afin de filmer des lieux ouverts au public dans le cas où le transporteur se verrait ouvrir sa cargaison, orientant la vidéo surveillance sur un lieu public ; ou encore respecter les droits fondamentaux des transporteurs, tel que le respect à la vie privée, en justifiant l’atteinte de ce droit par la nature de la tâche à accomplir et que celle-ci soit proportionnée au but recherché (cf. article L 1121-1 du Code du travail).
Et de toute évidence, il est bien vrai qu’aujourd’hui, certains transporteurs routiers, du fait de leur négligence ou imprudence, occasionnent ou facilitent le vol des cargaisons.
C’est pourquoi, pour essayer de pallier les risques de vols des cargaisons au cours du déplacement des marchandises, la prudence et la rigueur restent le principal à appliquer dans ce secteur.
En conséquence, il convient d’attirer l’attention des sociétés de transport qu’avec ces bandes organisées de malfaiteurs, elles doivent réfléchir sur le renforcement des dispositifs techniques de sécurisation des véhicules et des personnes chargées d’exécuter le contrat : système de tracking, escorts, vidéosurveillance, etc.
L’ajustement des polices d’assurances pour couvrir ces genres de risques dans les transports de marchandises par route n’est pas non plus négligeable.
Exemple de chaine logistique :
Sandra LEPAGNOT, Binta DIALLO, Marie Guealbaye NAMKOR,
Etudiantes en Master II Droit Douanier, des Transports et de la Logistique.