L’inapplicabilité des dispositions de l’article L. 80A en cas de montage artificiel constitutif d’un abus de droit

Le Conseil d’Etat, statuant en assemblée le 28 octobre 2020, a jugé que l’article L. 80A du Livre des Procédures Fiscales (LPF) applicable pour protéger le contribuable contre les changements d’interprétation des textes par l’administration fiscale, ne s’appliquait pas en cas de montage artificiel constitutif d’un abus de droit.

I. Les caractéristiques de l’opposabilité de la doctrine administrative fiscale 

A. La protection accordée au contribuable en cas de changement de doctrine de l’administration

L’administration fiscale édite, chaque année, des instructions qui vont permettre d’appliquer le droit fiscal de manière uniforme dans le pays. Ces différentes règles constituent la doctrine administrative fiscale. Cette doctrine a un caractère, prévu par la loi, qui est unique : il s’agit de son opposabilité. 

L’article L. 80A du LPF dispose : 

“Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. […]

Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente.”

L’article prévoit ainsi que chaque contribuable peut suivre les instructions données par l’administration fiscale dans sa doctrine en vigueur au moment de l’imposition

De ce fait, l’administration ne pourra pas, par la suite, reprocher au contribuable d’avoir appliqué cette doctrine. 

Ainsi, la doctrine, même considérée par la suite comme illégale, ne peut pas être changée par l’administration si celle-ci était considérée comme légale au moment de l’imposition du contribuable. Cela se nomme la protection contre les changements de doctrine de l’administration

Dans un arrêt du 26 juillet 1985 rendu par le Conseil d’Etat en formation plénière, le juge de l’impôt a rappelé que cette protection contre les changements de doctrine ne peut être invoquée que par le contribuable

Parallèlement au dispositif de l’article L. 80A du LPF, l’article L. 80B du LPF prévoit une procédure de rescrit afin que l’administration prenne définitivement position sur une situation de fait. 

Les articles L. 80A et L. 80B du LPF permettent ainsi une sécurité juridique pour le contribuable. 

B. L’invocabilité de la doctrine administrative fiscale 

Afin d’invoquer la doctrine de l’administration fiscale et bénéficier de la protection contre les changements d’interprétation de la doctrine, plusieurs conditions sont à respecter.

Dans un premier temps, il s’agit d’énoncer les conditions concernant le contribuable. 

 L’article L. 80A n’accorde la protection que pour les rehaussements d’imposition antérieures. Ainsi, il ne peut être invoqué que dans le cadre d’une imposition primitive (par exemple: CE, décision  du 6 juin 2007, n° 284826)

 La doctrine doit avoir été publiée au BOFIP ou au Journal Officiel.  

 Le contribuable doit se trouver dans la même situation que celle évoquée par la doctrine. 

Dans un second temps, les conditions qui tiennent à la doctrine elle-même sont au nombre de trois. 

 L’invocabilité ne porte que sur les règles d’assiette, de liquidation et de recouvrement de l’impôt.

 L’administration doit avoir pris parti sur l’interprétation d’une disposition fiscale. Ainsi, elle doit l’avoir fait au moyen de différents documents. 

Sous réserve qu’ils apportent des précisions de portée générale sur le sens d’un texte fiscal, sont considérés comme doctrine de l’administration : 

  • Instructions et circulaires administratives ;
  • Les réponses ministérielles ; 
  • Les précisions de doctrine ; 
  • Les réponses aux demandes individuelles des contribuables.

En revanche, le précis de fiscalité, la charte du contribuable, les déclarations ministérielles par exemple ne constituent pas des documents interprétant un texte fiscal. 

 La doctrine doit émaner du Ministre chargé de Finances, de ses agents ou de l’administration de douanes

Concernant l’application de la garantie dans le temps, la publication de la doctrine doit avoir eu lieu avant la date à laquelle le contribuable a fait application de cette doctrine ou aurait pu en faire application. Le texte interprétatif ne produit plus aucun effet dès lors :

  • Qu’une nouvelle doctrine, plus favorable, ait été publiée ; 
  • Qu’il y a un changement de législation ; 
  • Qu’elle a été annulée par le juge de l’excès de pouvoir.

Cependant, le juge de l’impôt a pu apporter des précisions, suivant les différents cas, quant à la protection du contribuable contre les changements de doctrine de l’administration. C’est ainsi que dans un arrêt du 28 octobre 2020, le Conseil d’Etat a précisé l’application de cette protection dans le cas d’un montage artificiel qui était constitutif d’un abus de droit. 

II. Une précision concernant l’article L.80A du livre des procédures fiscales en cas de montage artificiel.  

Dans un arrêt rendu le 28 octobre 2020, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions de l’article L.80A du livre des procédures fiscales ne s’appliquent pas en cas de montage artificiel constitutif d’un abus de droit. 

Dans cet arrêt le Conseil d’Etat a réaffirmé un arrêt de 1998 “Société de distribution de chaleur de Meudon et d’Orléans” concernant l’impossibilité de rehaussement de l’imposition d’un contribuable par le fisc. Cet arrêt est venu apporter une précision concernant l’opposabilité de la doctrine administrative fiscale au contribuable. 

En l’espèce, dans l’arrêt du 28 octobre, Monsieur A a acquis le 17 mars 2010 50 000 actions de la société anonyme A, il détenait alors 1,053% du capital. Le 25 mai 2010, M.A a cédé 4 000 de ces actions à la SCI B détenues par deux sociétés qui sont elles-mêmes détenues par un proche collaborateur de M.A. Cette session a eu pour conséquence de ramener le pourcentage de détention de la société anonyme A à 0,97%. Le 26 mai 2010, M.A a cédé la totalité des 20 000 actions de la société SAS Constitution, dont il était dirigeant avant de partir à la retraite, à la société anonyme A pour un montant de cinq millions d’euros. Le 8 juillet 2010, la SCI B a acquis 49 3000 actions de la Société anonyme A à un tiers pour un montant de 739 5 000 euros. Le 5 juillet 2013, M et Mme A ont acquis pour 3 euros la totalité des parts de la SCI B dont M.A a été nommé gérant. 

Dans le cadre de la cession des titres de la SAS et de la société anonyme, M.A a réalisé une plus-value totale de 4 972 560€ sur laquelle un abattement de 100% a été appliqué en application des dispositions du CGI. 

En première instance, M.A avait demandé au tribunal de prononcer la réduction de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle son foyer fiscal a été assujetti mais le tribunal de Paris dans un jugement du 4 janvier 2017 a rejeté sa demande. Dans un arrêt d’appel du 20 décembre 2018, la Cour administrative d’Appel de Paris a rejeté également la demande de M.A. Ce dernier, n’étant pas satisfait du résultat de la Cour administration d’Appel de Paris a décidé de porter l’appel devant le Conseil d’Etat. 

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les dispositions des articles 150-0 D bis et 150-0 D ter du Code général des impôts. Toutefois, la partie intéressante de notre veille concerne les dispositions des articles L.80A et L.64 du livre des procédures fiscales. 

Le Conseil d’Etat dans cet arrêt du 28 octobre 2020 est venu admettre qu’il est possible pour l’administration de mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit de l’article L.64 du livre des procédures fiscales et donc de faire échec au mécanisme de garantie prévu par l’article L.80A du même code. En revanche, pour mettre en œuvre cela, l’administration fiscale doit démontrer « que la situation à raison de laquelle le contribuable entre dans les prévisions de la loi, dans l’interprétation qu’en donne le ministre par voie d’instruction ou de circulaire, procède d’un montage artificiel, dénué de toute substance et élaboré sans autre finalité que d’éluder ou d’atténuer l’impôt ».

En d’autres termes, cela signifie que l’administration fiscale a la possibilité de sanctionner les montages artificiels sans que la garantie contre les changements de doctrine ne lui soit opposé. Toutefois, l’administration doit démontrer l’existence d’un tel montage. 

Du point de vue du contribuable cela signifie qu’il ne peut jamais se protéger derrière la garantie de l’article L.80A, quand celui-ci a mis en place un montage artificiel dans le seul but fiscal, pour obtenir l’application à son profit de la loi fiscale. 

Justine MUNSCH et Marie DUCROTTÉ

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