Directive TVA et e-commerce : tour d’horizon des mesures bientôt en vigueur.

La croissance exponentielle du e-commerce et l’intensification des échanges transfontaliers de marchandises qui en découle se justifient entre autre par le fait qu’il n’a jamais été aussi facile de vendre sur internet qu’aujourd’hui. 

Le contraste entre la simplicité à mener des opérations de ventes depuis un ordinateur et la complexité du système de la TVA explique qu’on ait pu dénombrer qu’en France, 98 % des vendeurs enregistrés sur les places de marché « e-commerce » n’étaient pas immatriculés à la TVA en 2018 (rapport de l’IGF).

Pour rappel, une marketplace est définie à l’ article 242 bis du CGI comme « une entreprise, quel que soit son lieu d’établissement, qui en qualité d’opérateur de plateforme met en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service » (ex:Amazon, Cdiscount…)

Un site e-commerce est un professionnel qui s’adresse directement au consommateur en vue de la vente d’un bien ou d’un service. Il peut détenir son propre stock comme être un intermédiaire opaque à un autre fournisseur/entrepôt dans le cadre d’une relation tripartite (fournisseur/e-commerçant/client). 

En conséquence, le conseil européen a adopté la directive n° 2017/2455/UE du 5 décembre 2017, dont les dispositions, transposées par les articles 53 et suivants du PLF 2020 et qui devaient initialement entrer en vigueur le 1er janvier 2021, sont reportées au 1er juillet 2021 du fait de l’épidémie. 

Cette directive vise, par une refonte globale du régime de vente à distance de biens, à simplifier les formalités, rationaliser la perception de la TVA, lutter contre les fraudes et enfin garantir une concurrence équitable entre les entreprises établies dans l’UE et hors UE.

Une modernisation avec l’instauration de régimes particuliers 

Lorsque l’acquéreur d’un bien acheté sur internet est un assujetti (professionnel), en principe l’opération est pour lui une acquisition intracommunautaire si ce bien est expédié depuis un État membre vers un autre par un autre assujetti. La vente depuis un site e-commerce ou une marketplace relève en principe du régime de la vente à distance de biens lorsque l’acquéreur est une personne non-assujettie comme un particulier ou une personne bénéficiant d’un régime dérogatoire.

Cette opération entrant dans le champs d’application de la TVA, le lieu d’imposition des ventes à distance intracommunautaire de biens se situe en principe dans l’État membre de départ des biens et bascule vers le lieu de consommation lorsque les recettes générées dans l’État membre d’arrivée atteignent le seuil que ce dernier a lui-même fixé. L’article 34 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 organisant ce système permet à chacun des États membres de fixer librement ce seuil entre 35 000 € et 100 000 €. Le franchissement, dans l’État membre d’arrivée, du seuil fixé par ce dernier implique donc pour l’assujetti de devoir s’immatriculer à la TVA et l’acquitter dans ce pays, tout en pratiquant le taux de l’Etat concerné. L’article 258 B du CGI fixe pour la France un seuil de 35 000 €. Ce régime de territorialité s’est avéré difficile à suivre pour les entreprises, complexe à vérifier par les administrations fiscales et propice à l’optimisation fiscale compte tenu des différentiels de seuils et de taux en vigueur entre les États membres.

Le législateur européen a dû s’employer à résoudre les problèmes récurrents qui perturbent le fonctionnement de la TVA comme les pratiques de certains vendeurs sur internet consistant à dissocier artificiellement la vente du transport (délégué à un tiers) afin d’entrainer la déqualification de l’opération de vente à distance et pouvoir s’affranchir de l’application du taux de TVA des États membres d’arrivée, notamment lorsqu’il est plus élevé.

Larticle 256 II bis nouveau du CGI vient lever toutes ambiguïtés en définissant la vente à distance intracommunautaire de biens de « livraison de biens expédiés ou transportés par le fournisseur ou pour son compte, y compris lorsque le fournisseur intervient indirectement dans le transport ou l’expédition des biens à partir d’un Etat membre autre que celui d’arrivée, lorsque la livraison de biens est effectuée au profit d’une PBRD ou personne non assujettie ». La définition englobe désormais le cas des fournisseurs opérant depuis une plateforme électronique qui, tout en assumant la responsabilité de l’envoi, sous-traitent la livraison à un tiers, en répercutent les frais sur leur prix ou mettent en relation le client avec le transporteur.

Face au développement du commerce électronique et à l’intensification des ventes par des opérateurs non établis dans le pays de consommation, la directive prévoit de faire de l’imposition à la TVA dans le lieu de consommation le principe avec l’harmonisation des seuils de taxation à l’échelle européenne. Désormais, le seuil commun à tous les Etats membres devient, pour l’ensemble des opérations effectuées au sein de l’UE de 10 000 € article 298 A du CGI (abrogeant ainsi l’article 258 B du CGI)

Les fraudes sont encouragées par les formalités lourdes et coûteuses de déclaration et d’immatriculation à accomplir dans plusieurs États membres. Pour faciliter la tâche des vendeurs, un guichet unique (« One-Stop-Shop ») se présentant sous forme de portail numérique est mis place. Ce portail permettra aux assujettis de déclarer et d’acquitter trimestriellement toute la TVA exigible depuis ce seul portail et ce pour l’ensemble des opérations de ventes à distance intracommunautaires de biens effectuées dans l’Union Européenne articles 298 sexdecies G et H du CGI . Dans le cadre de ce guichet, les vendeurs devront tenir à la disposition de l’administration fiscale un registre détaillé de l’ensemble de leurs opérations, à conserver pendant 10 ans article 286 quinquies nouveau du CGI

Le guichet est également ouvert aux assujettis établis hors de l’Union européenne qui facilitent au travers d’une interface électronique une vente à distance intracommunautaire : ces vendeurs devront désigner un représentant sur le sol européen qui déclarera et acquittera la TVA en leurs noms. 

Cas des biens importés : la création d’une nouvelle opération imposable

Parmi les ventes qui font l’objet de fraudes, on retrouve ceux importés des pays tiers (provenant notamment d’opérateurs chinois). Ces nombreuses importations, exonérées de taxes pour les colis inférieurs à 22 €, sont sources de fraude à la TVA à l’importation par la déclaration frauduleuse de la valeur des colis. 

À ce titre, le PLF 2020 prévoit la suppression de l’exonération de TVA à l’importation pour les colis d’une valeur inférieure à 22€ qui portait également atteinte à la concurrence équitable entre entreprises de l’UE et hors-UE.

Désormais pour les importations, un guichet IOSS («Import-One-Stop-Shop ») similaire à celui des ventes intracommunautaire sera dédié à ces vendeurs pour déclarer, via leur représentant désigné sur le sol européen, toutes les opérations incluant des biens importés et s’acquitter de la TVA exigible.

Dans un soucis de clarification, l’ ’article 258-IV nouveau du CGI instaure donc un nouveau régime de vente à distance de biens importés en provenance de pays tiers : ainsi la vente a distance de biens importés reprend la même définition que la vente à distance de biens intracommunautaire, à la différence qu’ici la livraison* (transfert de propriété) est réputée se situer en France dans 3 cas: 

  • lorsque le bien se trouve en France au moment de l’arrivée de l’envoi ou de l’arrivée du transport des biens (lorsque celui-ci a transité via un autre Etat membre) à destination d’un non-assujetti (peu importe la valeur)
  • Lorsque le bien dont la valeur n’excède pas 150 € est importé dans les mêmes conditions que précédemment et qu’il ait fait l’objet d’une déclaration au guichet des importations IOSS (« Import-One-Stop-Shop ») article 298 sexdecies H nouveau du CGI. Un régime particulier d’importation est attachée à cette situation : ainsi pour éviter une double imposition, les importations de biens déclarée via le IOSS seront exonérée de TVA à l’importation article 291 du CGI II-11° nouveau
  • au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport des biens à destination de l’acquéreur lorsque les biens importés sont contenus dans des envois n’excédant pas 150€ ayant fait l’objet d’une vente facilitée par une interface électronique sans recours cette fois-ci au régime déclaratif du guichet IOSS art 298 sexdecies I nouveau du CGI .

De nouvelles obligations pour lutter contre la fraude 

À défaut de déclaration, via le guichet approprié (IOSS), des biens importés et afin d’assurer la collecte de la TVA, il est prévu de rendre redevable de la TVA à l’importation (définie à l’ article 293 A du CGI ) l’interface qui facilite des ventes de biens importés en provenance de pays tiers à destination de consommateurs situés en France, à la place de la personne désignée comme destinataire réel des biens sur la déclaration d’importation. Les assujettis concernés pourront dans leur déclaration de chiffre d’affaires relatif aux vente à distance de biens importés, déduire la TVA à l’importation acquittée. Le but étant ici d’inciter les opérateurs de plateformes à se déclarer via le guichet. 

Dorénavant, et par dérogations au principe selon lequel le fournisseur est le redevable de la TVA, les assujettis relevant de l’article 242 bis du CGI qui s’entremettent dans une livraison de bien seront réputés avoir personnellement acquis et livré le bien (et donc redevables de la TVA) dans 2 cas ( article 256 V 2° nouveau du CGI ) :

  • Lorsqu’ils facilitent, par l’utilisation d’une interface électronique telle qu’une place de marché, une plateforme, un portail ou un dispositif similaire, les ventes à distance de biens importés de territoires tiers ou de pays tiers contenus dans des envois d’une valeur intrinsèque ne dépassant pas 150 € ;
  • Lorsqu’ils ne sont pas établis dans l’UE et qu’ils facilitent, par l’utilisation d’une interface électronique telle qu’une place de marché, une plateforme, un portail ou un dispositif similaire, la livraison d’un bien dans l’Union européenne à une personne non assujettie et ce peu importe la valeur. 

Pour les ventes réalisées par ces plateformes, le fait générateur et l’exigibilité de la TVA interviendront lors de l’acceptation du paiement par le client article 269 sexies du CGI . Ceci concernera donc tous les faits générateurs intervenant dès l’entrée en vigueur (1er juillet 2021).

À des fins de contrôles, les interfaces électroniques seront également astreintes à la tenue d’un registre qui devra être conservé afin de permettre aux États membres où ces livraisons et prestations sont imposables de vérifier que la TVA a été correctement acquittée article 286 quinquies nouveau du CGI .

Les marketplaces : nouveau bras droit de l’administration fiscale 

Les places de marchés (marketplaces) qui relèvent de l’article 242 bis du CGI sont déjà soumises depuis une loi de 2019 à une obligation d’information, notamment auprès de l’administration fiscale. Cette loi leur impose également d’informer les vendeurs sur leurs obligations fiscales et de communiquer à l’administration toutes les recettes générées par ces vendeurs (article 82 AA du LPF). En cas de manquement à leurs devoir d’information, les places de marché peuvent être sanctionnées par une amende. Si les mesures prises contre les vendeurs qui ne respectent pas leurs obligations fiscales d’assujettis s’avèrent être sans succès pour la récolte de la TVA due, la marketplace est solidairement redevables de la TVA pour le compte de ces vendeurs ( articles 283 bis  et 298 A ter du CGI

A partir du 1er juillet 2021, les marketplaces les plus influentes (générant plus de 5 millions de visiteurs uniques par mois) seront encore plus impliquées dans la coopération avec l’administration fiscale puisqu’elles seront réputées être par principe redevables solidairement de la TVA due par les vendeurs qu’elles hébergent. Cette présomption implique nécessairement pour ces plateformes de renforcer leurs mesures d’information et de contrôle envers les vendeurs, mais aussi de prendre des sanctions plus sévères envers ceux qui se soustraient à leurs obligations fiscales (rappels à l’ordre, exclusions). En se substituant à l’administration fiscale, celles-ci vont devenir des organismes vérificateurs et collecteurs de la TVA.

Si un opérateur de plateforme ne coopère pas avec l’administration fiscale (en appliquant son rôle de contrôleur), celle-ci procédera à la publication (« name and shame »), sur une liste, des opérateurs de plateformes non coopératifs, de la dénomination commerciale de l’opérateur de plateforme ainsi que, le cas échéant, de son activité professionnelle et de son État ou territoire de résidence.

La commission européenne prévoit, avec ces mesures 7 milliards de TVA en plus dans les caisses de l’Union européenne. Le but est surtout de mieux contrôler les flux de marchandises en provenance des pays tiers comme la Chine. En effet, selon une étude de la commission européenne, 65% des colis en provenance des pays tiers ne respectent pas la réglementation de l’Union européenne en matière de TVA. On peut se demander si ces mesures visant à inciter les opérateurs de pays tiers a se conformer à la réglementation européenne seront suffisantes. Car il est urgent, surtout en période de crise sanitaire, d’agir sur le déséquilibre flagrant avec les commerces physiques qui supportent le plus de restrictions et une imposition plus lourde (impôts de production). À ce titre l’État a d’ores et déjà lancé un plan d’aide à la numérisation pour aider les commerces physiques à rattraper leur retard https://www.clique-mon-commerce.gouv.fr offrant notamment une aide de 500 € aux commerçant ou en finançant des marketplaces exclusivement dédiées aux commerces locaux. Le législateur réussira t-il son défi d’annihiler toute obsolescence du système fiscal vis-à-vis de l’ogre qu’est le numérique ? Affaire à suivre…

Auteur : Sofiane BOUDERROUAH 

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