Les accords de mobilité interne (AMI) ont été crées par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, introduits au Code du travail, puis retirés suite à l’ordonnance du 22 septembre 2017, se voyant remplacés par les accords de performance collective (APC). Cependant, la cour se prononça en l’espèce au regard de la législation applicable au moment des faits, à savoir les articles relatifs aux AMI L2242-21 et L2242-23 du Code du travail.
Le 2 décembre 2020, la cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la validité du licenciement de salariés qui avaient refusé la proposition de mutation géographique qui leur avait été adressée en application d’un accord de mobilité interne, conclu suite à la perte de marchés par l’entreprise. Les salariés ont saisi le juge prud’homale en contestant le bien-fondé de la décision, puis le jugement rendu par la cour d’Appel de Nîmes le 23 octobre 2018 formant ainsi pourvoi en cassation.
Les salariés ont considéré que la suppression de postes, liée à la fermeture de l’entreprise, avait été décidée alors que l’accord ne pouvait « être négocié et signé que dans le cadre des mesures collectives d’organisation courante sans projet de réduction des effectifs ».
Il était également fait grief à l’arrêt de ne pas apprécier si le licenciement reposait sur une « cause réelle et sérieuse », la cour d’appel ayant considéré que « lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent l’application à leur contrat de travail des stipulations de l’accord relatives à la mobilité interne mentionnées au premier alinéa de l’article L. 2242-21, leur licenciement repose sur un motif économique ». Le motif économique du licenciement ne semblait donc pas faire débat.
Les questions qui se posaient alors :
- L’accord de mobilité interne s’inscrivait-il dans le cadre d’une mesure d’organisation courante de l’entreprise, sans projet de réduction d’effectifs ?
- Quelle est l’étendue du contrôle du juge ?
- Le refus d’une telle mobilité par des salariés peut-il légalement aboutir à un licenciement pour motif économique ?
Sur le premier moyen, la cour a fait droit à la décision rendue en appel, au motif que l’AMI avait été négocié en dehors de tout projet de réduction d’effectif, « afin d’apporter des solutions pérennes d’organisation ». La réorganisation constituait donc une mesure d’organisation courante « quand bien même les mesures envisagées entraînaient la suppression de certains postes et la ré-affection des salariés concernés sur d’autres postes ». Ceci est une application de l’article L2242-21 du Code du travail, applicable aux faits en l’espèce, ainsi que de l’arrêt de la chambre sociale de la Cour en date du 11 Décembre 2019 (18-13.599).
La cour de cassation va aussi abonder ensuite dans le sens de la cour d’Appel, considérant que le motif économique appliqué en l’espèce est « autonome » et ne nécessitait pas de justification particulière de l’employeur qui l’invoquait.
Cependant, la Haute juridiction va convenir que ce caractère autonome ne dispense pas le juge de toute appréciation, notamment au niveau de la conformité dudit accord aux conditions légales le régissant prévues par les (anciens) articles L2242-22 et L2242-23 du Code du travail. La cour va également fonder sa décision sur les dispositions de la Convention 158 de l’OIT prévoyant que le licenciement d’un salarié qui n’est pas directement attaché à sa personne doit se fonder sur des nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Il s’agit donc pour le juge d’apprécier in concreto la licéité du licenciement, d’une part au regard de la conformité de l’accord aux dispositions du code du travail et de la Convention 158 de l’OIT, et d’autre part, aux besoins de l’entreprise pour son fonctionnement.
Quelle portée ?
Il ressort donc de cette décision qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux d’un licenciement prononcé à la suite du refus de la part d’un salarié d’accepter un AMI, et que cette appréciation doit se faire in concreto, considérant les nécessités réelles de fonctionnement de l’entreprise (exigence légale) et conformément à la Convention N°158 de l’OIT. Il ressort également que la cour de cassation établit un motif autonome et indépendant de licenciement économique, en comparaison aux dispositions de l’article L1233-3 du Code du travail à ce propos.
Un parallèle entre la décision rendue en l’espèce et le régime lié aux APC (création issue des ordonnances dites « Macron » de 2017) peut être établi. En effet, ce mécanisme destiné aux entreprises est utilisé afin de répondre à une nécessité de développer ou de préserver l’emploi, et le refus d’y adhérer de la part d’un salarié constitue un motif spécifique de cause réelle et sérieuse à son licenciement (article L2254-2 du Code du travail). L’APC peut contenir diverses mesures aménageant le contrat de travail, parmi lesquelles notamment, des dispositions relatives à la mobilité professionnelle des salariés concernés.
L’APC a regroupé dans son contenu plusieurs types d’accords collectifs dont le contenu prime sur la volonté des parties, même dans des dispositions moins favorables que celles prévues par le contrat de travail initial. Parmi ces accords collectifs ont donc été intégrés ceux relatifs à l’ancien AMI, auxquels les salariés ne pouvaient pas s’opposer sans risquer de se voir licencier sur un fondement réel et sérieux.
L’arrêt de la chambre sociale semble donc entériner un mode bien spécifique de licenciement, par le biais d’une cause économique autonome utilisable en cas de refus du salarié d’accepter un AMI ou, désormais, un APC. La contestation et le contrôle du juge reposeront exclusivement sur la conformité de l’accord aux dispositions législatives dont il dépend et sur les besoins de l’entreprise, et non sur le licenciement en tant que tel et les causes le justifiant.
Il sera intéressant d’observer par la suite si ce mécanisme dégagé par la chambre sociale ne sera pas utilisé abusivement, dans un but exclusif de contourner la réglementation sur les licenciements économiques collectifs.
Shalewa ADEBOLA – Martin BRUCKER