Délit d’écocide : le holà du Conseil d’État

Rappeler l’urgence climatique et la nécessité d’action qui en découle devrait relever de la lapalissade. Tristement, les avancées mondiales en matière de climat traduisent une tout autre réalité. Au niveau français, le gouvernement en poste a instauré une convention citoyenne de laquelle a émergé un projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » ou bien « Loi Climat et Résilience » reprenant en partie les mesures proposées par ladite convention.

Une des mesures de ce projet de loi est la création d’un délit d’écocide. Ce délit viserait à sanctionner les atteintes intentionnelles, graves et durables sur « la santé, la flore, la faune ou la qualité de l’air, de l’eau ou des sols » en connaissance des risques encourus. La sanction serait alors une peine de 10 ans d’emprisonnement et 4.5 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté à dix fois l’avantage tiré de l’infraction sanctionnée.

Dans un avis publié le 10 février 2021, le Conseil d’État « ne peut pas donner un avis favorable » à la création de ce délit d’écocide. Le Conseil d’État, pour ce faire, se fonde sur divers éléments.

D’abord, il reproche l’absence de « répression cohérente, graduée et proportionnée des atteintes graves et durables à l’environnement ». En effet, le Conseil d’État souligne la disproportion des sanctions entre des infractions intentionnelles et d’autres non intentionnelles. A raison, le Conseil d’État explique ainsi qu’il est saugrenu d’infliger une sanction aussi lourde pour une infraction pour laquelle l’intentionnalité n’est pas recherchée et pour une infraction pour laquelle l’intentionnalité est un élément de constitution. A défaut, cela reviendrait à concéder en creux que le caractère intentionnel ne mérite pas d’appliquer une sanction différente.

Ensuite, le Conseil d’État rappelle qu’est contraire à la Constitution de prévoir l’aggravation d’une infraction si la circonstance aggravante est déjà un élément constitutif de l’infraction. Effectivement, une infraction ne peut pas s’aggraver elle-même, à raison du principe d’égalité devant la loi pénale. C’est ce que rappelle le Conseil d’État en vertu de la décision n°2013-328 QPC du 28 juin 2013.

Le Conseil d’État enjoint alors le gouvernement à « rechercher, pour atteindre les objectifs poursuivis, d’autres choix de politique pénale s’inscrivant dans le respect des principes constitutionnels ».

Enfin, toujours dans la volonté de conserver une échelle des peines cohérente, le Conseil d’État souligne le déséquilibre qu’instaurerait le délit d’écocide s’il était adopté tel que présenté au Conseil d’État. En effet, alors que d’autres infractions volontaires portant atteinte grave et durable à l’environnement (ex : L230-2 du Code de l’environnement pour le délit de pollution des sols) sont sanctionnées de 5 ans d’emprisonnement et d’1 million d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté à cinq fois l’avantage tiré.

Dès lors, deux délits intentionnels infligeant une atteinte grave et durable à l’environnement se verraient sanctionnés différemment (10 ans d’emprisonnement au lieu de 5 ans, 4.5M€, ou jusqu’au décuple du bénéfice tiré, d’amende au lieu d’1M€, ou jusqu’au quintuple du bénéfice tiré, d’amende).

Le Conseil d’État appelle alors de ses vœux que les modifications proposées veillent « d’une part, à ce que le champ d’application des infractions ou des causes aggravantes de peines soit cohérent avec l’objectif de renforcement de la protection judiciaire de l’environnement, d’autre part, à ce que le quantum des peines soit gradué et proportionné ».

Derrière ce refus de « ne pas donner un avis favorable » se cache en réalité un avis très défavorable du Conseil d’État à l’adoption d’un délit d’écocide en l’état.

De manière pragmatique, le Conseil d’État met en exergue qu’en matière de légistique, la clé de la réussite réside en la précision et la cohérence de la rédaction de la norme.

Arthur Lebreton

Source : https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/Files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/avis-du-ce/2021/avis_ce_trex2100379l_cm_10.02.2021.pdf (Considérants 76 et suivant).

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