Covid-19 : Qu’en est-il de la dignité humaine des personnes décédées ?

La pandémie mondiale liée à la Covid-19 n’a pas épargné la France, qui, acculée, a dû proclamer l’état d’urgence sanitaire le 23 mars 2020, état d’urgence qui est toujours d’actualité, puisque prorogé jusqu’au 1er juin 2021 par une loi du 15 février dernier.

Les décrets pris durant l’état d’urgence ont modifié l’organisation du pays dans sa globalité.  Concernant le droit de la santé, de nombreuses dispositions sont venues s’ajouter afin de garantir au mieux la sécurité des soignants et des patients. Certaines des dispositions contenues dans ces décrets sont apparues aux yeux des professionnels, mais aussi de l’opinion publique, comme étant contraires au principe de dignité humaine. Il s’agit ici des dispositions funéraires. Les modifications apportées, par ces textes, aux soins prodigués habituellement aux défunts, peuvent sembler disproportionnées d’un point de vue éthique et moral. Elles ont abouti à une tension entre le respect de deux principes : la sécurité publique et la dignité humaine

I. Crise sanitaire : L’émergence de problématiques juridiques en droit de la santé

  • Résumé des décrets pris dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire 

Le premier texte relatif aux dispositions funéraires est le décret n°2020-384 du 1 er avril 2020 complétant le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Le chapitre 8 de ce décret intitulé « dispositions funéraires » a ajouté un article 12-5 applicable jusqu’au 30 avril, disposant que « Les soins de conservation définis à l’article L2223-19-1 du code général des collectivités territoriales sont interdits sur le corps des personnes décédées. », il ajoute que « les défunts atteint ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès font l’objet d’une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts ».

Un nouveau décret du 31 mai 2020 est revenu sur les dispositions funéraires, qui étaient applicables depuis le 1er avril 2020. Par ce décret, on accepte de nouveau, les soins de conservation sur les personnes non décédées de la covid-19. La toilette mortuaire reste interdite  sur les personnes décédées du virus à l’exclusion des soins réalisés post-mortem par des professionnels de santé ou des thanatopracteurs. 

  • La mise à mal de la dignité humaine et ses répercussions 

Avant le décret n°2021-51 du 21 janvier 2021, actuellement en vigueur, le dernier décret était  celui du 29 octobre 2020, dans lequel les dispositions funéraires étaient restée inchangées. Cela signifie que depuis le 1er avril 2020, les mesures prises étaient relativement strictes. Cette sévérité a rapidement été soulevée par les professionnels de santé. Ces derniers, interrogés en novembre 2020 ont fait part des risques liées à ces dispositions funéraires. La crainte résidait alors dans la possible recrudescence des pathologies mentales. Un deuil est toujours très délicat, et les procédés mis en place par les établissements de santé en temps normal permettaient d’accompagner les proches dans ce moment difficile. En période de crise sanitaire, le fait que le corps humain soit traité d’une façon beaucoup moins humaine engendre une réelle violence psychologique, pour les proches, mais aussi pour le personnel de santé. Le cœur du problème réside dans l’atteinte qui est faite à la dignité humaine des personnes décédées ou probablement décédées de la covid. Ce principe de dignité humaine tient une place de choix dans le monde de la santé. 

II. Définitions juridiques de la dignité humaine

Emmanuel Kant, philosophe Allemand, disait que, la dignité réside dans le fait que la vie humaine a plus qu’une valeur, elle est sans prixSelon lui, la dignité de l’Homme lui appartient par essence et est présente chez tout être humain.  En droit, la dignité humaine occupe une place primordiale. Pour autant, malgré son origine remontant à la naissance de l’humanité, sa consécration fut tardive. On ne retrouve pas explicitement le principe de dignité humaine dans la constitution. C’est une décision du 27 juillet 1994, rendue par le conseil constitutionnel qui reconnaît que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement ou de dégradation, est un principe à valeur constitutionnelle. L’article 16 du Code civil reprend ce principe et rappelle que « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».  

  • La dignité humaine d’un point de vue médical 

La dignité humaine a été définie par l’OMS au cours de la journée mondiale de la santé mentale en 2015 comme étant « la valeur et l’estime de chaque individu et elle est fortement liée au respect, à la reconnaissance, l’estime de soi et la possibilité de faire des choix. La possibilité de vivre une vie dans la dignité découle du respect des droits fondamentaux de la personne. »  Au regard de la médecine, la dignité humaine peut se décliner comme le respect de l’intégrité physique ou morale de la personne.  L’article R.4127-2 du Code la santé publique dispose ainsi que « Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. Le respect dû à la personne ne cesse pas de s’imposer après la mort. ». L’article R.  4312-3 du même Code impose ces obligations aux infirmiers.  Ces deux dispositions sont reprises par le Code de déontologie des médecins et dans celui des infirmiers. 

  • Mais qu’en est-il des corps des défunts ? 

Une loi de 2008 a inséré dans le Code civil un article 16-1-1 qui dispose que « Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. ».  Selon la doctrine, le cadavre est un objet et ne peut donc pas bénéficier des droits accordés aux vivants. Cependant il y a une extension de la dignité de la personne humaine au cadavre ; c’est ce que les juges de la Cour de Cassation ont énoncé dans une décision de 2010 « Our Body ».

III. Une réponse proportionné apportée récemment

  • Une réponse esquissée par la jurisprudence antérieure 

Au regard de la situation sanitaire actuelle et d’une connaissance plus poussée du virus, le gouvernement a été amené à réfléchir différemment sur les dispositions funéraires. Aujourd’hui, à la lumière de la jurisprudence française et européenne, il est possible d’affirmer, que le principe de dignité humaine se place au-dessus des décrets pris pendant l’état d’urgence sanitaire. Ces décrets, qui visent à maintenir l’ordre public doivent être mis en balance avec la dignité humaine, qui en est composante. Il doit y avoir une forme de proportionnalité des mesures. Les décisions qui font un contrôle de proportionnalité des mesures sont nombreuses. La première à confirmer l’importance du principe de dignité humaine est l’arrêt du 27 octobre 1995, Commune de Morsang sur Orge, dans lequel, le Conseil d’Etat admet que le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l’ordre public. Ici, on vient admettre qu’au même titre que la santé, la salubrité et la sécurité publique, la dignité humaine doit faire l’objet d’une protection renforcée et sans limite. On dénombre d’autres cas d’espèce, comme l’arrêt du 9 janvier 2014, ministre de l’Intérieur contre M Dieudonné, rendu par le Conseil d’Etat. Dans cette décision, les juges avaient estimé que la liberté d’expression ne pouvait méconnaître le principe de dignité humaine. Par conséquent, un spectacle faisant, « en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l’apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale » n’était pas acceptable. Dans le même registre le Conseil d’Etat en 1959 avait fait primer le principe de dignité humaine sur la liberté d’expression concernant un film. 

  • Le nouveau décret du 21 Janvier : consécration du principe de dignité humaine ? 

Le décret du 21 janvier 2021 modifie complètement les dispositions funéraires, jusqu’alors applicables. Faut-il y voir une consécration de la supériorité du principe de dignité humaine sur celui de sécurité publique ?

Aujourd’hui les restrictions concernant la toilette mortuaire sont presque levées. Le décret du 21 janvier dernier dispose ainsi à son article 50 que « Seuls les professionnels de santé ou les thanatopracteurs peuvent leur prodiguer une toilette mortuaire, dans des conditions sanitaires appropriées, avant la mise en bière »

L’intérêt de ce décret est qu’il permet une uniformisation des mesures sur le territoire. Les mesures antérieurs étaient peu intelligibles et laissaient place à une multitude d’interprétations différentes, créant une différence de traitement entre les établissements de santé. Cette différence de traitement est problématique, notamment dans les hôpitaux publics qui sont responsables d’une mission de service public, qui doit garantir l’égalité des usagers. 

Ainsi, le décret du 21 janvier précise différents points jusqu’alors oubliés. Il revient sur les modalités de présentation du défunt à la famille et aux proches. Il réintroduit également la possibilité des soins de conservation sous certaines conditions. 

Ce dernier décret témoigne d’un travail de mise en balance des principes de dignité humaine et sécurité publique. Il peut néanmoins être relevé que le gouvernement est resté silencieux sur la possibilité ou non de pratiquer des rites funéraires. 

Camilia Mourragui, étudiante en M2 Services et Politiques Publics 

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