Preuve issue d’une vidéosurveillance : illicite ne veut pas dire forcément irrecevable

« L’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

Cass. Soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263

Notons avant toute chose que cet arrêt est rendu sur le fondement de textes spécifiquement applicable à Mayotte, mais que nous pouvons les transposer au droit commun.

Les nouvelles technologies et notamment les systèmes de vidéosurveillance constituent des preuves souvent déterminantes et font ainsi l’objet d’une réglementation stricte. Elles sont d’ailleurs la source d’un contentieux assez fourni à l’image de l’arrêt du 10 novembre 2021 dans lequel la Cour de cassation retient que la preuve issue d’un dispositif de vidéosurveillance, qui ne remplit pas les modalités de mise en place, peut tout de même être recevable sous réserve d’un contrôle de proportionnalité.

Dans notre affaire, une salariée licenciée pour faute grave, a contesté son licenciement au motif que son employeur a fondé ce dernier sur des éléments de preuve issues d’un système de vidéosurveillance illicite.

Les juges du fond estimant que les moyens de preuves sont recevables et par conséquent que le licenciement est bien fondé, la salariée va se pourvoir en cassation.

La question est alors de savoir dans quelles mesures une preuve issue d’un dispositif de vidéosurveillance est-elle recevable ?

La Haute Cour va casser l’arrêt de la Cour d’appel sur le fondement de l’article 32 de la loi informatique et liberté de 1978, de l’article L. 442-6 du Code du travail applicable à Mayotte (équivalent à l’art. L. 2312-38 C. trav.) et des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

La Cour de cassation estime que « le système de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise, permettait également de contrôler et de surveiller l’activité des salariés et avait été utilisé par l’employeur afin de recueillir et d’exploiter des informations concernant personnellement la salariée », par conséquent « l’employeur aurait dû informer les salariés et consulter le comité d’entreprise sur l’utilisation de ce dispositif ».

Ce manquement de l’employeur emporte l’illicéité de la preuve tirée du système de vidéosurveillance.

Toutefois, le juge rappel que « l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats ».

La recevabilité de la preuve doit s’apprécier à la suite d’un contrôle de proportionnalité.

On voit donc bien que le juge de droit va raisonner en deux temps distincts.

D’abord la détermination de la licéité de la preuve compte tenu de la finalité du dispositif de vidéosurveillance.

Ensuite, en cas d’illicéité de la preuve, la réalisation d’un contrôle de proportionnalité entre le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve permettant de retenir ou non la recevabilité de la preuve.

La nécessaire détermination de la finalité du dispositif

Le dispositif de vidéosurveillance a pour finalité d’une part, la sécurité des biens et des personnes au sein de l’entreprise (et est autorisé par la loi du 21 janvier 1995) et d’autre part, la surveillance des salariés (et est soumis à l’obligation de consultation du CSE et à l’information des salariés).

Un arrêt du 18 novembre 2020 (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 novembre 2020, 19-15.856), énonce trois critères permettant de déterminer la finalité du dispositif.

En effet, constitue un  système ayant pour objet la sécurité des biens et des personnes le système de vidéo-surveillance :

– installé pour assurer la sécurité du magasin,

– qui n’enregistre pas les activités des salariés sur un poste de travail déterminé et 

– non utilisé pour contrôler l’intéressée dans l’exercice de ses fonctions

En l’espèce, l’employeur justifie la mise en place des caméras par la sécurité des biens et des personnes compte tenu du contexte d’insécurité à Mayotte. Les juges du fonds retiennent cet argument mais en observant les critères jurisprudentiels précités, on comprend que cet argument est insuffisant.

C’est donc logiquement que la Cour de cassation relève que, même si l’objet principal des caméras était la sécurité des biens et des personnes, l’employeur utilisait le système de caméra pour recueillir et exploiter des informations concernant personnellement les salariés.

Ainsi, même si la surveillance des salariés est sous-jacente à la sécurité des biens et des personnes, les obligations d’information et de consultation précitées doivent donc être remplies.

Le manquement aux obligations d’information et de consultation précitée engendre l’illicéité des preuves issus du système de vidéosurveillance mais par leur irrecevabilité.

Un contrôle de proportionnalité comme condition de recevabilité de la preuve

Une preuve peut être illicite sans pour autant être écartée des débats, cette décision confirme les arrêts rendus récemment par la Chambre sociale (soc 30 septembre 2020 pourvoi n° 19-12.058 ; Cass. Soc. 25 nov. 2020, n° 17-19.523) mais cela reste une position loin d’être moyenâgeuse.

Ainsi que l’arrêt « Facebook » du 30 septembre 2020 où la chambre sociale a fait prévaloir le droit à la preuve pour déclarer recevables des éléments de preuve fournis par l’employeur à partir de publications d’un compte Facebook privé auquel il n’était pas autorisé à accéder.

Auparavant, la preuve illicite était irrecevable et ce principe perdurait notamment dans un objectif de préservation de la vie privée du salarié.

Le juge doit ainsi mettre en balance le droit de la preuve de l’employeur et le droit au respect de la vie privée du salarié.

Dans les deux arrêts précités, le contrôle de proportionnalité penche en faveur du droit de la preuve et le juge estime que la production de la preuve est indispensable à son exercice et que l’atteinte est proportionnée au but recherché.

Par notre décision du 10 novembre 2021, la Cour de cassation confirme si tant est qu’il était nécessaire de le faire, sa volonté de se conformer au droit européen (CEDH, gr. ch., 17 oct. 2019, López Ribalda et a. c/ Espagne) permettant ainsi au droit de la preuve de porter une réelle atteinte au droit de la vie privée du salarié.

Récemment, on a pu observer une limite à ce contrôle de proportionnalité en faveur du droit de la preuve, dans un arrêt du 23 juin 2021, la Cour de cassation a estimé qu’une caméra de vidéosurveillance positionnée de manière constante sur un salarié constituait une atteinte disproportionnée à la vie privée du salarié et donc une preuve irrecevable.

La limite serait donc l’atteinte disproportionnée se traduisant par le caractère constant de la surveillance.

Pour aller plus loin : Cass. Soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263

CHTATAR Haroun

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