Exercer une activité ne nécessite pas ultimement de créer une société. Un entrepreneur peut choisir d’exercer en tant qu’entrepreneur individuel ou à travers une entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL).
La différence fondamentale tient au patrimoine qui est mis en jeu. En effet, la première opère une confusion du patrimoine personnel et professionnel tandis que la seconde permet une séparation des deux pour une protection accrue du patrimoine personnel, le rendant insaisissable par les créanciers.
A la création en 2010 du statut d’EIRL, il en était attendu un véritable succès. Cependant, les prévisions de naissance de ces nouvelles entreprises n’ont pas été concluantes. Le Gouvernement estimait pour 2012, environ 100 000 EIRL mais arrivé en 2022, on n’en relève seulement 90 000.
La loi n°2022-172 du 14 février 2022 opère une réforme fondamentale du statut de l’EIRL, en proposant un nouveau statut unique.
- La Séparation d’Office du Patrimoine Professionnel et Personnel
Selon l’étude d’impact du projet de loi, la complexité du dispositif initial a été un frein quant à sa généralisation. La non-popularisation de cette forme d’entreprise a motivé le Gouvernement à la réformer. Les formalités et coûts y afférents ne sont pas de toute simplicité alors que l’entrepreneur ne souhaite généralement pas effectuer d’autres démarches que celles nécessaires pour l’immatriculation de son activité professionnelle.
Le nouveau statut renverse la norme de l’entreprenariat individuel. En effet, toute nouvelle entreprise individuelle naîtra avec un patrimoine professionnel automatiquement scindé du patrimoine personnel. Là où l’entreprise individuelle, avec une confusion patrimoniale, était la norme, c’est la séparation des patrimoines qui le devient.
Afin de protéger ses biens, l’entrepreneur devait rédiger une déclaration d’insaisissabilité pour les immeubles et une déclaration d’affectation de patrimoine pour le reste des biens, afin de passer en EIRL.
Avec la réforme faisant « disparaître » l’EIRL, la séparation s’effectue de plein droit, sans démarches à suivre. Le chef d’entreprise devient titulaire de deux patrimoines. Celui professionnel comprend les biens et droits utiles à l’exercice de l’activité. Quant au reste, il fait partie du patrimoine personnel. Il s’agit en réalité d’une simplification des formalités afin d’encourager la création des nouvelles entreprises.
La loi Macron du 6 août 2015 qui rendait insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel n’a pas vocation à disparaître, elle s’appliquera toujours.
- La renonciation à la séparation d’office et la réunion des patrimoines
Si la séparation des patrimoines devient la norme, la confusion n’est pas définitivement exclue. Le chef d’entreprise garde la possibilité de renoncer à la séparation de ses deux patrimoines.
Pour cela, il revient au créancier de le demander par écrit à l’entrepreneur. En contrepartie de la renonciation, l’entrepreneur s’engage à régler la créance qui est limitée en montant et en durée.
Ainsi, pour l’obtention d’un prêt bancaire par exemple, la renonciation écrite mentionne le terme de l’engagement ainsi que le montant de l’engagement, déterminé ou déterminable.
Un délai de réflexion est systématiquement accordé à l’entrepreneur, qui ne peut pas se prononcer avant un délai de sept jours.
Il existe des cas dans lesquels les deux patrimoines se retrouvent réunis :
- La fraude aux impôts et aux cotisation sociales :
L’administration qui se rend compte d’une fraude aux impôts de la part de l’entrepreneur est en droit de saisir l’ensemble de ses biens, qu’ils soient professionnels ou personnels. Cette exception ne s’applique qu’au profit de l’administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale, exclusion faite des autres créanciers.
- La cessation d’activité ou le décès :
Lorsque l’entrepreneur cesse son activité professionnelle ou décède, ses deux patrimoines se réunissent de plein droit. Les créanciers ont alors la possibilité d’exercer leurs droits sur l’ensemble des biens, et ce, dans les deux patrimoines.
Il reste un moyen pour l’entrepreneur de s’en prémunir, constituer une déclaration d’insaisissabilité, qui reste donc toujours indispensable dans ce cas de figure, malgré la réforme opérée.
- La position des créanciers
Grâce à cette nouveauté, l’entrepreneur protège son patrimoine personnel sans formalités réelles à accomplir.
Les droits des créanciers nés à l’occasion de l’activité professionnelle ne pourront être servis que par la saisine du patrimoine professionnel, sans atteinte au patrimoine personnel. Une procédure d’exécution ne sera donc possible qu’à l’encontre du patrimoine professionnel.
En ce qui concerne le patrimoine personnel, il reste saisissable dans l’hypothèse où un créancier a un droit de gage général à titre personnel et non professionnel, mais les créanciers professionnels ne pourront aucunement y porter atteinte.
Cependant, considérant le rapport de force existant en faveur du créancier sur l’entrepreneur, le Conseil d’État, dans son étude du projet de loi, estime qu’il subsiste le risque pour l’entrepreneur de se voir obligé de renoncer à la séparation pour l’obtention de la créance.
Enfin, le Conseil d’Etat considère que le Gouvernement aurait pu mieux explorer les possibilités d’amélioration de l’EIRL en allégeant certaines formalités. Le Gouvernement a jugé plus pertinent de simplement écarter le statut déjà en place pour en proposer un réformé.
ZEB Roshan