« 1. Aux termes de l’article 578 du code civil, l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance.
Cour de cassation, Chambre commerciale, 1 er décembre 2021, 20-15.164
2. Selon l’article 39, alinéas 1 et 3, du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, dans sa version applicable, un associé non-gérant d’une société civile peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée. Si le gérant s’oppose à la demande ou garde le silence, l’associé demandeur peut, à l’expiration du délai d’un mois à compter de sa demande, solliciter du président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés.
3. Il résulte de la combinaison de ces textes que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, mais qu’il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. »
Les parts sociales d’une société peuvent faire l’objet d’un démembrement de propriété. Ainsi, l’usufruit d’une part peut être détenu par une autre personne que le nu-propriétaire. Toutefois, cette faculté de démembrement a donné naissance à une controverse en ce qui concerne la qualité d’associé. En effet, la question s’est posée de savoir si l’usufruitier disposait de la qualité d’associé.
Il s’agirait de prime abord de définir la notion d’usufruit. L’article 578 nous apporte une définition limpide, qui est la suivante : « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».
Par ailleurs, la controverse a été provoquée par les dispositions de l’article 1844 du code civil qui énonce que : « Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ». Dans son troisième alinéa, l’article ajoute à ce droit de participer, un droit de vote dans les assemblées, réparti entre le nu-propriétaire et l’usufruitier.
Ces deux dispositions portaient certains auteurs à croire que l’existence d’un droit de vote et la faculté de participer aux décisions collectives conduisaient essentiellement à la qualification d’associé.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a finalement tranché le débat dans un avis rendu le 1er décembre 2021. Elle énonce ainsi que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé et que seul le nu-propriétaire possède cette qualité. Elle a également tiré des conséquences sur les prérogatives dont dispose l’usufruitier.
- L’exclusion de la qualité d’associé pour l’usufruitier
Cette solution ne date pas d’hier, elle existait bel et bien mais d’une façon mitigée et obscure. En effet, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt en ce sens, le 29 novembre 2006 (n° 05-17.009). La haute juridiction judiciaire, constatant la cession de la nue-propriété de la totalité des parts sociales, en a déduit la perte de la qualité d’associé, en dépit du maintien de l’usufruit.
Face à cette incertitude et afin de lever la controverse, la 3ème chambre civile a demandé un avis à la Chambre commerciale qui a finalement répondu sans équivocité en reconnaissant exclusivement au nu-propriétaire la qualité d’associé.
Le fondement de cet avis trouve son origine dans la définition de l’usufruit. En effet, l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété. Cela signifie que l’usufruitier ne dispose que d’un droit de jouissance, excluant toute propriété sur les parts sociales.
Il faut ainsi distinguer le démembrement de propriété d’une division de propriété. Le démembrement conduit au fractionnement des prérogatives de la propriété et non pas à son fractionnement elle-même. L’usufruitier bénéficie de la jouissance tandis que le nu-propriétaire garde la propriété. Cette répartition des prérogatives implique que l’usufruitier n’est en aucun cas propriétaire des parts et ne peut donc être qualifié d’associé.
- Une faculté limitée de provoquer une assemblée générale
Dans un avis rendu le 1er décembre 2021, la Cour de cassation a également conclu que l’usufruitier “doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance”.
La Cour s’est appuyée sur l’absence de qualité d’associé pour l’appliquer à l’article 39, alinéas 1 et 3, du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 qui accorde un droit de provoquer les délibérations aux associés. Elle a, certes, admis un droit de provoquer une délibération à l’usufruitier mais ce droit se limite à certaines questions incidentes à son droit de jouissance parce qu’il ne dispose pas de la qualité d’associé qui lui aurait conféré un droit de provoquer les délibérations sans aucune restriction relative à la motivation de son initiative d’une assemblée.
Ainsi, la Cour de cassation a tranché cette question. Toutefois, la partie de la décision relative à la provocation d’une délibération a ouvert à nouveau un débat sur son application dans la pratique. En effet, le débat tend désormais vers l’éventuelle interprétation de cette faculté en une généralisation à toutes les prérogatives de l’associé. Autrement dit, pour exercer tout autre droit réservé aux associés, l’usufruitier doit-il démontrer d’une incidence directe sur son droit de jouissance ? Telle est la préoccupation doctrinale qui ressort de cette jurisprudence, qui tranche un débat pour en déclencher un autre.
Khalil DHAOU
Très bon article, qui montre sans le dire comment le juge s’invite toujours plus dans la vie des sociétés françaises au risque de continuer à les faire fuir.