Rappel de la définition d’un marché public
Selon l’article L. 1111-1 du code de la commande publique, les marchés publics se définissent comme : « Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent. »
Trois grands principes régissent la passation d’un marché, ce sont le principe de libre accès à la commande publique, le principe d’égalité de traitement des candidats, et le principe de transparence des procédures. En fonction de la valeur et de la nature du marché, vient s’ajouter à ces principes, le respect de procédures particulières.
Il existe aujourd’hui trois types de procédures de passation :
- La procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence.
- Le marché à procédure adaptée dit MAPA.
- La procédure formalisée.
La procédure avec négociation est une procédure formalisée, ainsi nous n’aborderons pas les autres types de procédures.
La procédure formalisée est la procédure utilisée lorsque la valeur estimée du marché est égale ou supérieure aux seuils européens.
Qu’est-ce qu’une procédure avec négociation ?
Tout d’abord, le terme de procédure avec négociation regroupe deux anciennes procédures : la procédure concurrentielle avec négociation des pouvoirs adjudicateurs et la procédure négociée avec mise en concurrence préalable des entités adjudicatrices. Elle est définie aujourd’hui, à l’article L. 2124-3 du code de la commande publique comme « la procédure avec négociation est la procédure par laquelle l’acheteur négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques. ». Toutefois, la négociation doit se faire sur la base d’exigences minimales fixées par l’acheteur, ces exigences doivent être précises et ne peuvent pas être négociées, elles permettent de déterminer la nature et la portée du marché.
Il est nécessaire, lorsque l’on parle de procédure avec négociation, de distinguer si celle-ci est réalisée par un pouvoir adjudicateur ou par une entité adjudicatrice. En effet, les procédures sont plus souples lorsqu’il s’agit d’une entité adjudicatrice.
Distinction entre pouvoir adjudicateur et entité adjudicatrice :
Pour rappel, la qualification de pouvoir adjudicateur recouvre trois types de catégories (Article L. 1211-1 du code de la commande publique) :
- Les personnes morales de droit public ;
- Les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont :
– Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur.
– Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur.
– Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur.
- Les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun.
Les entités adjudicatrice (Article L. 1212-1 du code de la commande publique)
- Les pouvoirs adjudicateurs qui exercent une des activités d’opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3 et L. 1212-4.
- Lorsqu’elles ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs, les entreprises publiques qui exercent une des activités d’opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3 et L. 1212-4.
- Lorsqu’ils ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs ou des entreprises publiques, les organismes de droit privé qui bénéficient, en vertu d’une disposition légalement prise, de droits spéciaux ou exclusifs ayant pour effet de leur réserver l’exercice de ces activités et d’affecter substantiellement la capacité des autres opérateurs économiques à exercer celle-ci.
Des modalités différentes en fonction de l’acheteur :
Le code de la commande publique en son article R. 2124-3 prévoit la possibilité d’une procédure avec négociations pour le pouvoir adjudicateur dans des cas précis :
- Lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles ;
- Lorsque le besoin consiste en une solution innovante. Sont innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en œuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l’entreprise ;
- Lorsque le marché comporte des prestations de conception ;
- Lorsque le marché ne peut être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y rattachent ;
- Lorsque le pouvoir adjudicateur n’est pas en mesure de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante en se référant à une norme, une évaluation technique européenne, une spécification technique commune ou un référentiel technique, définis à la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du présent livre ;
- Lorsque, dans le cadre d’un appel d’offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables, au sens des articles L. 2152-2 et L. 2152-3, ont été présentées pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées. Le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de publier un avis de marché s’il ne fait participer à la procédure que le ou les soumissionnaires qui ont présenté des offres conformes aux exigences relatives aux délais et modalités formelles de l’appel d’offres. »
Ainsi, pour le pouvoir adjudicateur, le code limite fortement le recours à la procédure avec négociation, qui constitue une exception dans le domaine de la commande publique.
A l’inverse, les entités adjudicatrices sont plus libres, comme le prévoit l’article R. 2124-4 du code de la commande publique : « L’entité adjudicatrice peut passer librement ses marchés selon la procédure avec négociation ».
Cette distinction est d’autant plus importante car le juge administratif n’hésite pas à annuler une procédure passée par le pouvoir adjudicateur alors qu’elle n’est pas justifiée, il est d’ailleurs tenu de prononcer la nullité dans un tel cas. Par exemple, le Conseil d’État dans un arrêt du 15 avril 2015 « Société Automatismes Corses », a au contraire annulé une ordonnance de référé en qualifiant la CCI d’Ajaccio d’entité adjutatrice, permettant la préservation du marché et rappelant l’importance d’une telle qualification. On peut également évoquer un arrêt plus récent du Conseil en date du 7 octobre 2020 « Lyon Métropole Habitat » qui rappelle que le recours aux procédures par négociation n’est pas justifié lorsque les prestations sont connues et normalisées, en l’espèce il s’agissait de diagnostic avant travaux sur des biens.
Les principales spécificités de la procédure avec négociation
Les principales spécificités de la procédure avec négociation reposent sur la publicité, la procédure de passation, la négociation avec les candidats et le rapport de présentation. Encore une fois, ces spécificités varient en fonction de l’acheteur. Par exemple, concernant le rapport de présentation, il est obligatoire pour les pouvoirs adjudicateurs et doit contenir les motifs de recours à ce type de procédure, tandis que les entités adjudicatrices en sont dispensées.
Actualité récente concernant la procédure avec négociation
Récemment, le Tribunal administratif de Strasbourg a dû trancher la question du recours à une procédure avec négociation, par un pouvoir adjudicateur en cas de pénurie de main d’œuvre, notamment dans le cadre d’un service de transports.
En l’espèce, la Région Grand-Est a souhaité anticiper une pénurie de main d’œuvre dans le domaine des transports en ayant recours à une procédure par négociation. La société SA AM ayant participé à la procédure sans en être finalement attributaire a demandé au juge d’annuler la procédure, elle se fondait sur l’irrégularité du recours à la procédure avec négociation par la région. Le juge des référés a rejeté sa demande le 22 juin 2022 en estimant que la société avait pu participer à la procédure avec négociation, dans les mêmes conditions que les autres candidats, améliorant son offre au point de se rapprocher du score de la société attributaire. Ainsi, on constate ici une reconnaissance implicite par le juge, de la possibilité de recourir à la procédure par négociations en cas de pénurie de main d’œuvre.
Cette question est d’autant plus d’actualité que de nombreuses collectivités déplorent une pénurie de mains d’œuvre dans le domaine des transports. Toutefois, cette décision émanant d’un Tribunal administratif, elle ne peut donc pas être consacrée, il faut donc attendre qu’une telle affaire soit soumise au Conseil d’État pour en avoir la confirmation définitive.
Constance LANGE