« Lorsqu’un dirigeant d’une société, d’une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manœuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s’il n’est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d’une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire… »
Article L.267 du Livre des procédures fiscales (LPF)
La personnalité morale d’une société entraîne la distinction et la séparation : d’une part des patrimoines personnels des individus la composant et d’autre part du patrimoine de la société elle-même. Cette distinction est la règle, la confusion en est l’exception.
La recherche de la solidarité fiscale du dirigeant au sens de l’article L.267 LPF s’inscrit dès lors dans cette exception.
A la lecture du texte, trois éléments sont requis pour que soit valablement constituée la mise en œuvre de l’action en responsabilité fiscale d’un dirigeant :
- L’existence de manœuvres frauduleuses ou l’inobservation grave et répétée des obligations ;
- L’impossibilité pour l’administration fiscale de recouvrer auprès de la société, les impositions et pénalités dues ;
- Un lien de causalité entre ces deux éléments.
La mauvaise foi des dirigeants n’a pas à être recherchée par l’administration fiscale pour l’application de cette procédure (selon un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation datant du 19 mai 1992), ni d’ailleurs l’élément intentionnel des agissements du dirigeant (principe tiré d’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 décembre 1993).
Lorsque la société ne s’est pas affranchie de ses obligations fiscales par le fait du dirigeant, l’administration est amenée à cibler le patrimoine du dirigeant pour recouvrer les sommes. La responsabilité du dirigeant est alors solidairement engagée à celle de la société.
L’administration fiscale n’est fondée à intenter une action à l’encontre des dirigeants, qu’après avoir constaté que la société, initialement débitrice de la dette, n’est pas en mesure de l’honorer.
En ce sens, la Cour de cassation estime qu’il ne peut être fait application de l’article L.267 du livre des procédures fiscales (LPF) par l’administration fiscale, qu’après qu’elle ait exercé tous les contrôles qui lui incombaient pour obtenir, en temps utile, le paiement des impositions dues par la Société (Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 24 mai 1994).
En plus de rechercher les trois éléments susvisés, l’administration fiscale doit engager son action en recouvrement, dans un délai considéré comme satisfaisant. Ce critère jurisprudentiel est source de nombreux litiges étant donné qu’il reste sans définition, et que les juges l’interprètent de manière casuistique.
- Concernant les manœuvres frauduleuses ou les inobservations graves et répétées
La responsabilité du dirigeant ne peut être engagée que lorsqu’il s’est rendu responsable de manœuvres frauduleuses ou inobservations graves et répétées rendant impossible le recouvrement de l’impôt.
L’administration fiscale est donc invitée, avant d’explorer la responsabilité solidaire du dirigeant, à apporter la preuve des fautes qu’il aurait commises.
Au sens du Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP), les manœuvres frauduleuses sont analysées comme constituant la mise en œuvre de procédés ayant pour effet soit de faire disparaître ou de réduire la matière imposable, soit d’obtenir de l’Etat des remboursements injustifiés.
La manœuvre frauduleuse ou les inobservations graves et répétées doivent donc être perpétrées dans le but de préjudicier les intérêts de l’Etat.
L’administration doit alors démontrer l’élément intentionnel à l’origine des manœuvres, en plus des procédés destinés à masquer l’existence de l’infraction.
A la lumière de ces preuves, l’administration fiscale pourra déceler l’utilisation de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées, ayant conduit à l’impossibilité de recouvrer l’impôt.
- Le recouvrement de l’impôt rendu impossible
Par un arrêt du 10 mars 1998, la chambre commerciale de la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « Le dirigeant poursuivi ne peut être déclaré tenu au paiement de la dette fiscale de la société que dans la mesure où il a rendu le recouvrement de cette dette sur la société impossible ».
La Cour de cassation rappelle de manière constante l’obligation de caractériser l’impossibilité dans laquelle s’est retrouvé le comptable public de recouvrer l’impôt, sans se fier simplement à l’absence de déclaration d’impôt ou de paiement.
Les services fiscaux se doivent d’établir qu’ils ont utilisés, en vain, tous les actes de poursuites à leur disposition pour obtenir en temps utile, paiement des impositions par la société. Les juges du fond sont invités par la haute juridiction à prêter attention au bon déroulement de ces procédés.
Il a été rappelé de nombreuses fois par le juge de cassation de l’impossibilité d’appliquer l’article L.267 LPF, sans avoir recherché les circonstances, autres que le défaut de paiement, en raison desquelles l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales de la société avait rendu impossible le recouvrement (Chambre commerciale de la Cour de cassation le 15 décembre 1987 et le 9 mars 1993).
L’article L.267 LPF ne peut pas non plus être appliqué sans préciser au dirigeant la nature et les dates des tentatives de recouvrement de l’impôt.
- Le lien de causalité imputé au dirigeant
Une précision particulière sur la portée de cette disposition est apportée par la Cour de cassation qui veut que les juges du fond, qui disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation, mènent un travail de caractérisation concret de la responsabilité personnelle du dirigeant. Les faits relatés ayant conduit à la responsabilité doivent s’être tenus durant la période effective d’exercice de son mandat, et ce de manière directe ou indirecte. Ainsi, on en conclut que la seule qualité de dirigeant de droit n’est pas suffisante pour imputer la responsabilité solidaire fiscale au sens de l’article L.267 LPF.
Le juge du fond ne peut dès lors pas déclarer une personne solidairement responsable de la dette fiscale d’une société en qualité de dirigeant de fait ; et ce, sans identifier et analyser les documents dont résultaient les faits sur lesquels il fonde sa décision (Chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 mai 1998).
- L’Action en recouvrement mené dans un délai satisfaisant
L’action en responsabilité solidaire au sens de l’article L.267 LPF doit être menée dans un délai raisonnable. C’est ce qui résulte de l’instruction publique du 6 septembre 1988 de la Direction générale des impôts et de la direction de la comptabilité publique relative à l’action en recouvrement de l’impôt.
La doctrine administrative rappelle le même principe de l’action menée dans des délais « satisfaisants » dans le BOFiP.
Cependant la notion n’étant pas définie, elle est source de différents litiges quant à la qualification de « délais satisfaisants ».
C’est donc un travail jurisprudentiel qui permet l’appréciation des délais satisfaisants. Récemment, la Haute Cour précisait que l’administration fiscale devait engager son action en responsabilité solidaire, sans attendre que soit prononcée la clôture pour insuffisance d’actif, de la procédure collective de la société (Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 janvier 2021).
Étant donné qu’il incombe au comptable public de recouvrer cette créance, l’action doit nécessairement être engagée dans un délai de quatre ans. En effet au sens de l’article L.274 LPF, toutes les actions en recouvrement à la charge du comptable public doivent se tenir dans un délai de quatre ans, sous peine de prescription.
L’administration fiscale se doit alors de faire non seulement un travail de diligence vis-à-vis des conditions à respecter pour engager la responsabilité du dirigeant au sens de l’article L.267 LPF, mais aussi de promptitude pour ne pas être hors délai satisfaisant.
Pour aller plus loin : La responsabilité fiscale du dirigeant au Bulletin Officiel des Finances Publiques
Roshan ZEB