La garantie des salaires en cas de procédure collective

L’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été établie sur la base de deux objectifs : 

  • Une amélioration de la lisibilité et de l’intelligibilité du droit, dans le but d’apporter, une meilleure sécurité juridique aux justiciables ainsi que de susciter un attrait plus grand envers la discipline juridique. 
  • Un renforcement de l’efficacité du droit des sûretés par un jeu d’équilibre subtil entre la garanti des intérêts des créanciers, des débiteurs et ceux de leurs garants.  

L’avant-projet de l’ordonnance prévoyait de rétrograder le salarié dans la hiérarchie des créanciers. Il serait alors facile, pour les défendeurs de l’avant-projet, d’arguer que le recul de la place du créancier salarié ne se ferait qu’au profit des créanciers munis de sûretés réelles, il resterait alors au salarié la capacité de passer devant les créanciers dénués de toute sûreté (appelés créanciers chirographaires). 

L’ordonnance de projet de réforme abandonna cette idée, devant la levée de boucliers de certains syndicats1

Le salarié dont l’entreprise est placée en procédure collective peut-il continuer à percevoir sa rémunération ? 

Le créancier : Personne à qui le débiteur doit quelque chose, il est titulaire d’une créance.2 

La procédure collective : Toute procédure dans laquelle le règlement des dettes et la liquidation éventuelle des biens du débiteur ne sont pas abandonnés à l’initiative individuelle de chaque créancier mais organisés de manière à ce que tous les créanciers puissent faire valoir leurs droits.3 

La liquidation judiciaire est ainsi une procédure collective où le salarié est créancier de son ancienne entreprise. 

  1. Le salarié créancier de son entreprise 

En cas de procédure collective, chaque créancier est appelé à faire valoir ses droits avant que le règlement des dettes de chacun ne se fasse4. Ce règlement ne se fait non pas par ordre d’arrivée mais par hiérarchie croissante, l’antériorité du titre ne conférant aucune priorité de paiement.5 

Les créanciers professionnels comme les banques ou les établissements de crédit ont depuis longtemps compris la nécessité de s’assurer la meilleure position possible dans cette course au prix. Ils prennent ainsi l’habitude d’ajouter bon nombre de clauses de sûretés aux contrats d’emprunts (ex. hypothèque…). 

Le contrat de travail, liant un salarié et son employeur, prévoit une rémunération du premier en échange d’un travail effectif rendu au second. En cas de cessation des paiements (l’impossibilité pour une personne privée de faire face au passif exigible avec son actif disponible)6 de la part de la société, nul ne devrait continuer de recevoir le remboursement de l’intégralité de son dû et ce qu’il s’agisse de l’état, des fournisseurs ou des salariés. Ces derniers acquièrent donc, le statut de créanciers. 

Le salarié de l’entreprise placé en procédure collective est économiquement dépendant de son employeur, il n’a donc pas les moyens d’ajouter une clause de suretés à son contrat de travail. Le législateur a donc réservé aux salariés, une place élevée dans la hiérarchie des créanciers.  

  1. La place du salarié dans la hiérarchie des créanciers 

Le législateur se voulant protecteur, nul ne pourra venir réclamer le paiement de sa dette avant le salarié. Étant donné la situation objectivement plus précaire à laquelle celui-ci fait face, il obtient donc le statut de créancier superprivilégié

Il est toutefois à noter que la première place de cette course revient aux personnes publiques ; les impôts, l’URSSAF et les frais engagés pour l’ouverture de la procédure par le juge-commissaire, l’administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire et le ministère public7

En ce qui concerne les droits du salarié, le Code Civil prévoit une liste exhaustive8 des créances dont peuvent se prévaloir ces derniers9 : 

  • Les rémunérations des six derniers mois 
  • Le salaire différé pour l’année précédente et celle en cours 
  • Les indemnités de fin de contrat et de précarité d’emploi 
  • Les indemnités pour les congés payés 
  • Les indemnités de licenciement en cas de conventions collectives 

L’ensemble de ces créances étant exigibles pour chacun des salariés, présent au jour de l’ouverture de la procédure collective. Les salariés embauchés après l’ouverture de la procédure collective ne sont pas éligibles aux avances de l’AGS. 

Le salarié souhaitant se faire payer, bénéficie également d’un privilège sur les biens immobiliers et mobiliers de son employeur10. Si aucune procédure collective n’est ouverte, ce droit est à faire valoir à concurrence des autres créanciers privilégiés. En revanche si une procédure collective est ouverte, ce droit relève également du super privilège. 

  1. L’Association pour la Gestion du régime de Garantie des créances des Salariés 

En guise de double sécurité pour les salariés, il est également prélevé, à chaque versement des cotisations patronales une certaine somme (correspondante à 0,15% de la rémunération du salarié), qui sera reversée au fond de l’Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés ; l’AGS.  

Ainsi, en cas de défaillance de la société sur le paiement des différentes créances exigibles, l’AGS se substituera à l’employeur et devra effectuer le versement au salarié dans un délai de 5 jours à compter de la réception des demandes d’avances, faites par le mandataire judiciaire en charge de la liquidation.  

On parle ici « d’avances » faites car d’un point de vue juridique, l’AGS avance les sommes dues au titre des créances mais acquiert ainsi le droit de se subroger aux droits du salarié indemnisé. Dans les faits en réalité, l’AGS ne récupère qu’une petite partie des fonds avancés, la majorité étant simplement perdue alors même qu’en vertu du bénéfice de subrogation, l’AGS jouissait du statut de créancier superprivilégié.  

Les indemnités versées par l’AGS sont plafonnées en fonction de l’ancienneté du contrat de travail, au jour de l’ouverture de la procédure collective11 ; 

  • 54 848€ maximum pour un contrat de travail inférieur à 6 mois 
  • 68 560€ maximum pour un contrat de travail inférieur à 2 ans mais supérieur à 6 mois 
  • 82 272€ maximum pour un contrat de travail supérieur à deux ans 
  1. Une situation précaire pour le salarié 

Il est souvent probable qu’après le passage des impôts, l’actif de la société ait été intégralement liquidé. Le fait donc de perdre une place, rien qu’une, suffit en général à faire perdre à un créancier la quasi-totalité de ses chances de se faire rembourser le montant de sa dette. 

La société en liquidation judiciaire est, en tout état de cause, depuis de nombreux mois déjà en état de cessation des paiements. Les impôts et l’URSSAF n’ont probablement pas été payés depuis de longs mois et peut-être même en est-il de même des salaires. 

Dans l’hypothèse où les impôts, l’URSSAF et la justice auraient pu récupérer la part qui leur revenait, il existe une très forte probabilité que le passif restant ne suffise pas à épurer l’intégralité des dettes dues à l’ensemble des salariés.  

En liquidant la dette du salarié, l’agence récupère son droit à la dette, et donc son statut de superprivilégié, elle est donc l’une des toutes premières à pouvoir espérer se faire rembourser. En 2019 suite à la crise du COVID-19, l’AGS a reçu 850 millions d’euros de cotisations, elle a dû indemniser des salariés ayant perdu leurs emplois à hauteur de 1,5 milliard d’euros et n’a réussi à se faire rembourser qu’à hauteur de 530 millions d’euros.   

Dans toutes les situations où l’AGS n’a pas pu récupérer ce milliard avancé, l’intégralité des créanciers suivants dans la hiérarchie n’ont pu, en tout état de cause, que constater la perte de l’intégralité de leurs dettes.   

On comprend ici l’importance de se situer dans les premières places, une banque accordant un prêt de plusieurs milliers d’euros pourra très bien survivre à une perte sèche due au non-recouvrement de la dette, pour le salarié, il faudra puiser dans les réserves, si elles existent, ou compter sur la solidité financière d’un éventuel conjoint.  

Gabin CORVAISIER 

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