Le rapport de la Cour des comptes sur les scénarios de financement des collectivités territoriales

À la demande du président de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a mené une enquête sur les scénarios de financement des collectivités territoriales. Les recettes des collectivités territoriales, à savoir les régions, les départements, les communes, leurs groupements à fiscalité propre et leurs services annexes, ont été fortement impactées. D’une part, par la baisse progressive de la taxe d’habitation sur la résidence principale depuis 2018 (ayant conduit à sa suppression au 1er janvier 2023). D’autre part, par la baisse des impôts de production depuis 2021. C’est ainsi que dans son rapport publié le 12 octobre 2022, la Cour des comptes, après une analyse du fonctionnement actuel des collectivités territoriales, propose des scénarios de réforme et des modalités de mise en œuvre de celle-ci. 

Le système de financement actuel des collectivités territoriales

La Cour des comptes souligne que le système de financement actuel des collectivités territoriales devrait être réformé pour le rendre plus compréhensible. En effet, il est le résultat d’un long processus historique qui n’est plus en adéquation avec les principes qui l’ont fondés. 

L’autonomie financière, élément constitutif du principe de libre administration des collectivités territoriales, a été consacrée dans un premier temps par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 25 juill. 1990, n°90-277 DC et Cons. const., 24 juill. 1991, n° 91-298 DC) puis par la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. L’article 72-2 de la Constitution du 4 octobre 1958 tel que modifié par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 consacre le principe constitutionnel d’autonomie financière et énonce les règles propres à garantir l’autonomie financière des collectivités territoriales vis-à-vis de l’État.

Les collectivités territoriales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures » et elles peuvent en fixer l’assiette et le taux, dans les limites fixées par la loi (Const., 4 oct. 1958, art. 34). Les recettes fiscales et les autres ressources propres à chaque niveau de collectivités doivent représenter une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. Le problème étant que le calcul des ressources propres et donc de l’autonomie financière se fait par référence à la formule de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 et que celle-ci ne permet pas de rendre compte de la part de la fiscalité nationale dans les ressources propres. La détermination de l’autonomie financière est donc faussée. 

Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales qui a pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales doit être compensé. Selon la Cour des comptes, les modalités de compensations déterminées par la loi ont conduit « à rigidifier et émietter les transferts de fiscalité ». Autrement dit, les modalités de compensation des charges induites par toute création ou toute extension de compétences ont rendu illisible la fiscalité nationale partagée. 

« La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ». La péréquation signifie qu’il doit y avoir une répartition égalitaire des charges ou des moyens. Appliqué au financement des collectivités territoriales cela signifie que les collectivités qui ont des ressources élevées devront en verser une partie aux collectivités qui en ont besoin, afin qu’il y ait une égalité entre elles. Selon la Cour des comptes « la péréquation souffre d’un manque d’objectifs clairement définis et évalués et reste trop peu développée au sein de chaque niveau de collectivités ».

            Dans le cadre de son enquête, la Cour des comptes n’a pas cherché à modifier les compétences des collectivités territoriales. Les scénarios envisagés conduisent à des réformes tout en se basant sur les principes déjà établis. 

Les scénarios de réforme 

Les scénarios proposés par la Cour des comptes sont le résultat d’une étude comparée de droits étrangers et sont tous basés sur des critères d’équilibre, de territorialisation des ressources, de capacité d’action des collectivités et de solidarité

La Cour des comptes propose trois options qu’elle qualifie de « polaires ».  

1 – Le renforcement des ressources locales 

Les ressources locales représentent environ la moitié des recettes des collectivités territoriales mais cette répartition est inégale. Le niveau communal représente 65,8%, le niveau départemental représente 34,3% et le niveau régional représente 17,2%.

La Cour des comptes propose la création d’un nouvel impôt résidentiel. Celui-ci prendrait la forme, soit d’une contribution modique acquittée par l’ensemble des ménages, soit d’un taux additionnel à l’impôt sur le revenu. Le but de ce nouvel impôt est de « renforcer les liens entre l’habitant et le financement des collectivités locales ». 

À défaut de la création d’un nouvel impôt résidentiel, la Cour des comptes propose de transférer l’intégralité des impôts locaux aux communes. Les impôts locaux concernés sont la part départementale des droits de mutation à titre onéreux, la part départementale de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (jusqu’à sa suppression), la taxe sur les certificats d’immatriculation et les impositions forfaitaires des entreprises de réseaux des départements et régions. Selon ces estimations, 80% des recettes des communes proviendraient alors des impôts locaux.

2 – Le renforcement de la fiscalité nationale partagée

La fiscalité nationale représente environ 21% des recettes des collectivités. Au niveau communal cela représente 6%, au niveau départemental cela représente 40% et au niveau régional cela représente 70%.

La Cour des comptes propose de partager les impôts nationaux. Les principaux impôts nationaux sont la taxe sur la valeur ajoutée, la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques et la taxe spéciale sur les conventions d’assurance. Ce partage s’opérerait notamment entre les régions, les départements et les intercommunalités. Selon la Cour des comptes, si l’affectation se fait en fonction des charges des collectivités, cela aurait deux avantages. D’une part, cela permettrait aux représentants locaux de mieux comprendre le système de financement. D’autre part, cela leur permettrait « d’agir à la source sur les inégalités territoriales ». Selon ces estimations, en affectant un tiers de la taxe sur la valeur ajoutée, la totalité de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques et une fraction de l’impôt sur les sociétés, il y aurait une progression de 20 points de la part des impôts partagés. Ce qui représente un peu plus de 40 % du financement des collectivités territoriales.

3 – Le renforcement des dotations et subventions

Les dotations et subventions représentent 26 % des ressources des collectivités territoriales. 

Le renforcement des dotations et subventions a pour avantage de sécuriser les recettes. Cependant, cela aura pour inconvénient de créer une dépendance des collectivités territoriales vis-à-vis de l’État. Il convient de tempérer cet inconvénient car les dotations et subventions sont plafonnées. Selon le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, les dotations et subventions représentent environ 30 % des ressources globales d’une collectivité. 

Pour la Cour des comptes, le renforcement des dotations et subventions permettrait de renforcer la solidarité du système et la convergence des stratégies d’investissement.

La mise en œuvre d’une réforme du financement des collectivités territoriales 

            Les options présentées contiennent chacune leurs limites et dans une recherche d’équilibre entre autonomie et solidarité selon les spécificités de chaque niveau de collectivités, la Cour des comptes explique qu’à son sens il faudrait combiner ces trois options. 

Le scénario proposé par la Cour des comptes conduit à « recentrer la fiscalité locale sur le bloc communal (…), met en place un système plus solidaires du financement des départements (…) et renforce le financement des régions par la fiscalité nationale ».

Ce scénario permet d’identifier plus simplement les sources de financement par niveau de collectivité. Au niveau communal, les ressources se composeraient des impôts locaux, d’une dotation de fonctionnement et d’une fraction de taxe sur la valeur ajoutée. Au niveau départemental, les ressources se composeraient d’impôts nationaux (taxe sur la valeur ajoutée, taxe spéciale sur les conventions d’assurances et impôt sur le revenu) et d’une dotation d’action sociale. Au niveau régional, les ressources se composeraient de deux impôts nationaux partagés (taxe sur la valeur ajoutée et impôt sur les sociétés). 

La Cour des comptes précise qu’une réforme aussi importante ne sera possible que si les représentants des collectivités participent à la préparation de la loi de finances et de la loi de programmation des finances publiques. Pour cela, elle propose de créer une autorité indépendante permettant d’instaurer un dialogue entre l’État, le Parlement et les collectivités territoriales. À défaut, elle propose que cette mission revienne au Comité des finances locales, à condition que ses modalités de fonctionnement soient changées. La Cour des comptes insiste sur le fait que ce dialogue ne pourra se faire que si des outils de partage et d’analyse de données sont accessibles. Il s’agit là de renouer la confiance qui s’était perdue en participant à la réforme d’un système qui se voudra plus lisible et responsable et qui conduira à un équilibre financier.  

Pour aller plus loin : Frédéric LAFARGUE, « La Constitution et les finances locales » (2014)

Sources :

  • <a href= »https://fr.vecteezy.com/vecteur-libre/carte-france »>Carte France Vecteurs par Vecteezy</a>
  • Vie-publique.fr – Carte du découpage administratif de la France : les régions, les régions d’outre-mer (DROM), les collectivités d’outre-mer et la Nouvelle-Calédonie – par Dario Ingiusto et Floriane Picard (dernière modification : 17 novembre 2021)

Agnès MAGON

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