Lutte contre le blanchiment : la CJUE remet en cause le registre des bénéficiaires effectifs de sociétés

Qu’est-ce que le registre des bénéficiaires effectifs de sociétés ?

Le registre des bénéficiaires effectifs de sociétés, ou RBE, permet à tout citoyen (grand public, journalistes et organisations non gouvernementales (ONG)) de connaitre l’identité des personnes physiques détenant véritablement le contrôle d’une société, parfois au travers de montages complexes et de sociétés écrans.

Au sens des articles L. 561-2-2 et R. 561-1 du Code monétaire et financier, cette notion de contrôle est caractérisée par « toute personne physique qui soit possède, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société ou entité déclarante, soit exerce sur cette dernière, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce ».

Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, un tel registre avait été initialement envisagé par une directive de 2015. Son usage avait cependant été réservé aux autorités compétentes et aux organisations justifiant d’un intérêt légitime. La directive anti-blanchiment de 2018, prenant en compte la difficulté d’établir et de définir un tel intérêt, avait élargi l’accès au registre « à tout membre du grand public », dans un souci d’intérêt général.

La mise en œuvre de cette directive s’est traduite en France par la création du registre des bénéficiaires effectifs (RBE) en avril 2021. Ce dernier recense les noms, dates de naissance, pays de résidence et de nationalité et adresses des bénéficiaires effectifs, ainsi que la nature et l’étendue de leurs intérêts dans la société.

Réclamé de longue date par les ONG, ce registre a été considéré lors de sa mise en place comme une avancée majeure en matière de transparence financière. Il a permis au grand public et notamment à certains journalistes de prendre part à des enquêtes d’envergure internationale contre la fraude et le blanchiment.

La remise en cause du registre des bénéficiaires effectifs par la Cour de justice de l’Union européenne

Par un arrêt du 22 novembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que l’accès public aux registres des bénéficiaires de sociétés créées dans l’Union européenne constituait une atteinte à des droits fondamentaux. Il s’agissait en l’espèce des droits au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, prévus par les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Une telle atteinte à des droits fondamentaux est possible uniquement si elle est strictement nécessaire et proportionnelle à l’objectif poursuivi, ce qui n’était pas le cas en l’espèce d’après la Cour.

À la suite de cette décision, la France a suspendu son registre dès le 1er janvier sans aucune annonce officielle. Interrogé par le Monde, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) a d’abord affirmé que les données ne seraient plus publiées en accès libre en raison de la décision de la CJUE, puis a plaidé l’erreur technique.

Une clarification a finalement été apportée le 19 janvier dernier par un communiqué du ministère de l’économie, expliquant que Bruno Le Maire avait décidé du maintien de l’accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs « dans l’attente de tirer toutes les conséquences de l’arrêt de la CJUE ».

Quelles conséquences sur la transparence financière ?

Si le registre des bénéficiaires effectifs est à nouveau disponible à l’heure actuelle, son avenir semble néanmoins compromis. Pour certains, il s’agit d’un véritable retour en arrière après l’élargissement de l’accès des registres au grand public en 2018. Le Monde parle de « grand bond en arrière en matière de transparence financière ».

Pour Solène Clément, présidente de l’observatoire de lutte anti-blanchiment, les conséquences de l’arrêt sont à nuancer : l’accès au grand public a certes été restreint, mais « l’accès des journalistes et des ONG au registre des bénéficiaires effectifs des sociétés a été sanctuarisé ».

La prise en considération de l’arrêt devrait ainsi entrainer la création d’un registre spécifique, dont l’accès sera de fait plus difficile puisqu’il nécessitera de justifier d’un « intérêt légitime ».

Cette décision s’inscrit dans une tendance de la CJUE d’ériger la charte des droits fondamentaux de l’UE en véritable outil de protection des libertés individuelles, face à des mesures de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme qui peuvent se révéler très intrusives. La Cour opère ainsi un contrôle de proportionnalité entre les objectifs légitimement poursuivis par ces mesures et les atteintes aux droits fondamentaux qu’elles entrainent.

Dans le courant de cette tendance, la CJUE s’est récemment exprimée sur l’obligation imposée aux avocats par la directive DAC 6 de notifier aux tiers leurs déclarations de montages transfrontaliers. Dans un arrêt du 8 décembre 2022, la Cour a jugé cette obligation disproportionnée au regard du secret professionnel garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

François-Xavier MARIE

2 réactions sur “ Lutte contre le blanchiment : la CJUE remet en cause le registre des bénéficiaires effectifs de sociétés ”

  1. ThomasRow Réponse

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