Définition :
L’abus de biens sociaux (ABS) consiste en le fait, pour un dirigeant d’une société commerciale, d’user de mauvaise foi de biens, du crédit ou du pouvoir de la société à des fins personnelles et contraires à l’intérêt de la société.
L’ABS est défini par le Code de commerce à l’article L241-3 4°, pour les sociétés à responsabilité limitée (SARL), et à l’article L242-6 3°, pour les sociétés anonymes (SA).
L’abus de biens sociaux peut donc être réalisé par plusieurs personnes selon la forme sociale :
- Le gérant d’une société à responsabilité limitée (SARL),
- Le président, les administrateurs, ou les directeurs généraux d’une société anonyme (SA),
- Le gérant d’une société en commandite par actions (SCA),
- Le président d’une société par actions simplifiée (SAS).
Quelle que soit la forme de la société en cause, pour que le délit d’ABS soit retenu, le dirigeant doit avoir usé de biens, du crédit ou du pouvoir de la société à des fins personnelles, ou dans l’intérêt d’une société dans laquelle le dirigeant a un intérêt direct ou indirect, et à des fins contraires à l’intérêt social.
L’usage contraire à l’intérêt de la société et la notion de mauvaise foi sont les éléments principaux permettant de déduire l’existence d’un ABS.
Également, toute personne complice d’un ABS engage sa responsabilité personnelle. Le complice n’est pas visé expressément par les textes (comme les dirigeants), il peut être toute personne physique.
La complicité à un ABS se caractérise par l’aide ou l’assistance procurée en vue de commettre cette faute, par sa provocation, par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir, ou d’instructions (article 121-7 du Code pénal).
La jurisprudence a eu l’occasion en 1987 de préciser qu’est complice d’ABS celui qui a connaissance qu’une action est contraire à l’intérêt social au moment de son exécution, et qui a commis des actes positifs (acte constatant une situation juridique préexistante) en vue de la provoquer (Cass. crim., 12 janv. 1987 : Bull. Joly 1987, n° 209).
Origine et évolution de l’ABS :
L’entrée dans la loi de l’abus de biens sociaux résulte d’un décret-loi du 8 août 1935, en réponse à l’affaire Stavisky. L’ABS se présente comme une infraction qui complète l’abus de confiance.
La jurisprudence et les médias ont contribué à l’évolution de la notion et des sanctions de l’ABS. Par exemple, dans l’affaire Carignon dans laquelle un ancien maire de Grenoble a été condamné, la jurisprudence a précisé que « quel que soit l’avantage à court terme qu’elle peut procurer, l’utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l’intérêt social en ce qu’elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants, et porte atteinte à son crédit et à sa réputation » (Cass. crim., 27 octobre 1997 : Bull. crim. no 352).
Caractères de l’acte d’ABS :
L’acte du dirigeant doit répondre à plusieurs critères pour que l’abus de biens sociaux soit retenu :
- L’acte doit résulter d’une appropriation d’un bien social, du crédit ou du pouvoir ou d’un emprunt par le dirigeant.
- La volonté de commettre un ABS suffit, il n’est pas nécessaire que l’infraction ait été réalisée pour qu’elle soit répréhensible.
- L’acte doit être contraire à l’intérêt social, et le dirigeant doit avoir agi dans un intérêt personnel dans le but de tirer un avantage de cette opération.
Différents usages punissables :
L’usage répréhensible au titre d’un ABS peut consister en l’appropriation ou la dissipation de fonds par le dirigeant pour son profit personnel de sommes appartenant à la société. Le dirigeant peut faire un simple usage de biens sociaux, mais encore s’octroyer des rémunérations abusives ou des avantages en nature.
Exemples d’actes du dirigeant le rendant coupable d’ABS :
- Établissement d’actes contraires à l’intérêt social : présentation d’écrits comptables inexacts dans le but de dissimuler le détournement et la destination des fonds.
- Présentation à l’assemblée générale des associés de fausses écritures comptables.
Si le dirigeant n’est pas en mesure de démontrer le caractère social de dépenses ou de réceptions de sommes effectuées pour son compte, ces opérations sont réputées avoir été entreprises dans son intérêt personnel. Exemple : dépenses hôtelières, cadeaux d’affaires, etc.
L’infraction peut également être constituée par l’usage du crédit. Le crédit d’une société se définit par sa capacité à emprunter, à garantir, à cautionner, mais également sa réputation et la confiance qu’elle inspire. User de ce crédit conduit à risquer de mettre en difficulté une société commerciale.
Exemple : un dirigeant sollicitant de la société qu’elle se porte caution d’un des engagements personnels du dirigeant constitue un usage de crédit sanctionné au titre de l’abus de biens sociaux.
Exemple d’abus de pouvoir : un dirigeant d’une SA détient 25% de la société, et le reste du capital est dilué. Cette société est en parfaite situation financière. Une autre société dont il est actionnaire à 90% est couverte de dettes. La tentation du dirigeant mal intentionné serait de fusionner ou de rassembler les éléments d’actif et de passif des deux sociétés. Les actionnaires de la SA devront supporter le passif très important d’une société dont le dirigeant aurait dû assumer la situation financière catastrophique. Ce transfert de dettes se fait pour des satisfactions personnelles car le dirigeant a le pouvoir de le faire.
Certains usages ne sont pas considérés comme étant des abus de biens sociaux : la jurisprudence a considéré que « Ne sont pas contraires à l’intérêt social des prélèvements effectués par un dirigeant social sur la trésorerie de sa société, correspondant à une rémunération qui lui a été consentie par le dirigeant de la société mère en contrepartie d’un travail, alors que les fausses imputations comptables ne correspondaient pas à l’objectif poursuivi par le délit d’abus de biens sociaux ». (Cass. crim., 15 sept. 2021, no 20-85495).
Également, la chambre criminelle, dans un arrêt du 7 septembre 2022, admet que le caractère fictif de factures acquittées ne suffit plus à présumer un intérêt direct ou indirect du dirigeant avec ce règlement, ou à présumer s’il a favorisé une autre société avec laquelle il avait un intérêt à la clé. L’intérêt personnel ne peut donc pas être caractérisé sur ces faits, et par extension, l’ABS non plus.
Sanctions :
L’abus de biens sociaux est une infraction pénalement répréhensible. Il s’agit d’un délit, punissable de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 375 000 euros. Ces peines sont majorées à sept ans d’emprisonnement et 500 000 euros si l’infraction comporte un élément d’extranéité, c’est-à-dire que l’ABS a un caractère international.
La dimension pénale de l’abus de biens sociaux implique un élément matériel et un élément intentionnel. L’élément matériel consiste en un détournement par le dirigeant de sommes et/ou de biens appartenant à la société, pour son compte personnel. L’élément intentionnel est caractérisé par la volonté et par la mauvaise foi du dirigeant d’user des biens de la société à des fins personnelles.
Le dirigeant ne peut se prévaloir de l’erreur s’il est suspecté d’avoir commis un acte d’abus de biens sociaux. L’ABS nécessite une dimension intentionnelle pour être caractérisé, de fait, l’erreur ne peut être un moyen de défense.
Sur le plan de la société, le dirigeant fautif peut être révoqué, mais ce n’est pas une obligation. Celui-ci peut se voir opposer une interdiction temporaire d’exercer des fonctions de direction au sein de la société. La révocation peut être prononcée lorsque l’attitude du dirigeant est de nature à compromettre l’intérêt de la société, son fonctionnement, ou lorsque le comportement du dirigeant entraîne une perte de confiance par les associés fondée sur des éléments objectifs.
L’abus de biens sociaux se prescrit au terme d’une durée de 6 ans, ce délai court à compter du jour où l’abus est apparu.
L’infraction faite à l’origine et le recel sont dissociés et incompatibles depuis le XIXème siècle, notamment avec le principe non bis in idem. De fait, les délits de recel d’abus de biens sociaux ne seront pas retenus à l’encontre de la personne ayant commis l’infraction originelle.
Qui sont ceux qui peuvent se prévaloir de l’abus de bien sociaux ?
Il s’agit d’une action qui touche l’intérêt général, le principal intéressé est donc le Procureur de la république, qui va agir à titre principal. La principale victime est la société spoliée, l’action est alors exercée par ses représentants légaux ou par un directeur spécialement habilité. À titre exceptionnel, la Cour de cassation admet l’action ut singuli (action intentée par un associé ou actionnaire pour le compte de la société, mais qui est conditionnée à la mise en cause de la société par l’actionnaire). S’agissant de ce type d’infraction, elle est déclarée recevable par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 19 octobre 1978 publiée au bulletin n°282.
L’action personnelle d’un associé est en revanche irrecevable, cette jurisprudence est constante. L’existence d’un préjudice personnel distinct de celui subi par la personne morale doit être rapporté, à défaut il est considéré que l’associé n’a pas qualité ni intérêt à agir devant les juridictions pénales.
Actualité – Affaire Karachi :
François Léotard, ministre de la Défense sous le ministère d’Edouard Balladur, a été condamné par la Cour de cassation le 4 juin 2021. L’ancien ministre avait formé un pourvoi contre la décision de la Cour de justice de la République qui l’avait condamné à deux ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, pour complicité d’abus de biens sociaux dans l’affaire dite « Karachi ».
Dans cette affaire, M. Léotard et M. Balladur avaient conclu des marchés d’armement sous des conditions frauduleuses avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite dans les années 1990. Ces marchés avaient permis de dégager des rétrocommissions* dans le but de financer la campagne présidentielle du candidat Edouard Balladur en 1995, qui a été relaxé, à l’instar de François Léotard.
* Définition : une rétrocommission est une pratique illégale qui consiste pour le vendeur à offrir plus de commission que nécessaire, pour ensuite en récupérer une partie via l’intermédiaire.
Élisa GIORDANO et Marine PÉPIN