L’affaire UNILABS FRANCE : une nouvelle convention judiciaire d’intérêt public conclue

Poursuivi pour des chefs de fraude fiscale aggravée, escroquerie en bande organisée et blanchiment de ces délits, le groupement d’intérêt économique (GIE) UNILABS FRANCE et le Parquet national financier (PNF) ont conclu le 8 décembre 2022 une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) dont l’amende s’élève à 13,816 millions d’euros, mettant fin aux poursuites pénales engagées à l’égard de l’entreprise.

En matière de fraude fiscale, deux procédures alternatives au procès pénal sont envisageables pour le contribuable : la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et la CJIP. La stratégie de défense d’UNILABS FRANCE a consisté à conclure avec le PNF une CJIP.

La CJIP : une alternative au procès pénal fiscal

Instituée par la loi dite « Sapin 2 »[1], puis étendue aux faits de fraude fiscale par la loi relative à la fraude[2], la CJIP constitue un instrument transactionnel applicable aux personnes morales de droit privé et de droit public. Cette convention a été introduite, ab initio, dans le droit pénal interne en réponse aux condamnations américaines de plusieurs multinationales françaises sur le fondement du Deferred Prosecution Agreement.

En matière fiscale, dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire relative à des faits de fraude fiscale et/ou de blanchiment de fraude fiscale, le PNF peut proposer au contribuable la conclusion d’une CJIP lui permettant d’éviter une condamnation pénale en contrepartie d’une ou plusieurs des obligations suivantes :

  • Versement d’une amende d’intérêt publique au Trésor public, proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels ;
  • Mise en place d’un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence française anticorruption ;
  • Réparation des dommages causés par l’infraction aux victimes identifiées[3].

La CJIP peut donc intervenir soit au cours de l’enquête, soit au cours de l’instruction. Elle est négociée et signée par le procureur de la République, puis soumise, le cas échéant, à validation par le président du tribunal lors d’une audience publique. Elle présente à la fois un intérêt public et un intérêt pour la personne morale mise en cause.

D’une part, la CJIP renforce considérablement l’efficacité de la justice en matière de droit pénal fiscal. Ce constat appelle quatre observations :

  • En premier lieu, la célérité de la sanction permet une réduction des coûts, des délais et des aléas, notamment grâce à la coopération de l’entreprise.
  • En deuxième lieu, la formalisation de l’exécution de la sanction par l’accord de volonté exprimé au moyen de la convention optimise la finalité de la procédure, notamment eu égard à l’exigence de proportionnalité de l’amende et son paiement à la fois effectif et rapide.
  • En troisième lieu, dans une autre perspective, la CJIP peut exiger une mise en conformité de l’entreprise induisant une prévention de la récidive a posteriori.
  • En quatrième et dernier lieu, par l’esprit du législateur, la CJIP réaffirme la « souveraineté pénale et économique de la France » selon le PNF, en ce qu’elle élargie le champ d’action des autorités françaises et permet une réaction plus rapide face à la menace des autorités étrangères qui investigueraient ces mêmes faits.

D’autre part, la CJIP favorise la continuation de l’activité économique de l’entreprise. Ainsi, la conclusion de la CJIP éteint l’action du ministère public sans condamnation pénale stricto sensu. Nonobstant la reconnaissance des faits et l’acceptation des qualifications pénales retenues lorsque la procédure est intervenue pendant la phase de l’instruction, la CJIP n’entraîne pas déclaration formelle de culpabilité. Les conséquences pour l’entreprise sont considérables :

  • Absence d’inscription au bulletin n°1 du casier judiciaire ;
  • Inapplication des dispositions du Code de la commande publique prévoyant l’exclusion des procédures de marchés publics en cas de condamnation pour fraude fiscale[4] ;
  • Protection contre des peines complémentaires éventuellement dommageables pour la pérennité de l’entreprise tels que la fermeture de l’établissement concerné par l’infraction ou la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction.

La célérité de la procédure et la coopération de l’entreprise atténue par ailleurs le risque réputationnel. Il s’agit en tout état de cause de l’un des risques dont les dirigeants sont les plus attentifs de nos jours dès lors que la réputation est perçue comme un actif stratégique pour le développement commercial et économique des entreprises.

Enfin, le 16 janvier 2023, le PNF a publié une mise à jour de ses lignes directrices sur la mise en œuvre de la CJIP. Elles précisent notamment, selon le PNF, « l’appréciation de la bonne foi de l’entreprise, les modalités de calcul de l’amende d’intérêt public, le régime des échanges entre la personne mise en cause et le parquet ou encore les conséquences tirées de la coopération de l’entreprise ».

Illustration : l’affaire Unilabs France

Le 17 août 2021, le GIE UNILABS FRANCE et le groupe UNILABS ont spontanément porté à connaissance du PNF l’existence ou la perspective de plusieurs dénonciations obligatoires ou plaintes des services fiscaux pour fraude fiscale ou escroquerie. Le PNF a ainsi ouvert, le 3 septembre 2021, une enquête préliminaire pour des chefs de fraude fiscale aggravée, escroquerie en bande organisée et blanchiment de ces délits.

L’administration fiscale a relevé au cours de ses contrôles entre 2015 et 2019 un usage détourné et frauduleux du crédit impôt recherche (CIR) diminuant de facto le montant d’impôts sur les sociétés dû par les laboratoires entre 2013 et 2018. Il s’agit de la première CJIP en matière de CIR.

Pour rappel, le CIR est une mesure de soutien aux activités de recherche et de développement des entreprises, quels que soient leur secteur ou leur taille, notamment dans le dessein d’accroître la compétitivité de l’appareil productif français. Conformément aux dispositions de l’article 244 quater B du Code général des impôts (CGI), les dépenses engagées en ce sens peuvent, sous respect des conditions d’éligibilité, bénéficier d’un crédit d’impôt au taux de 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d’euros et de 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant. De nombreux abus ont par ailleurs été recensés à l’égard de cet avantage fiscal.

En l’espèce, l’enquête a révélé – au moyen de perquisitions, d’auditions de témoins et de l’analyse de mails notamment – l’étendue de la supercherie. En effet, les plans de recherches présentés par les sociétés du groupe étaient majoritairement non éligibles au CIR et les dépenses de recherches engagées n’étaient pas étayées. L’enquête a permis également de montrer que la documentation juridique relative au CIR était destinée à tromper les services fiscaux comprenant notamment de nombreuses manœuvres frauduleuses. Ainsi, le procureur de la République financière a qualifié les faits imputables à UNILABS FRANCE de complicité de fraude fiscale aggravée[5] par instigation et par fourniture de moyens[6]. Le 8 décembre 2022, UNILABS FRANCE et le PNF ont trouvé un accord et ont signé une CJIP.

Par conséquent, en application de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, le montant limite théorique de l’amende d’intérêt public s’établissait à 467 056 900 €. Toutefois, les investigations ont évalué l’avantage perçu indûment par le contribuable à la somme de 8 635 000 €. Le PNF précise qu’à la date de la convention, cette somme a été restituée au Trésor public à hauteur de 5 224 000 € ou, s’agissant de tentatives, ne sera jamais perçue par l’entreprise. En outre, la pénalité complémentaire est quant à elle évaluée à 13 816 000 € eu égard, d’une part, à l’existence de facteurs aggravants tels que la gravité du trouble à l’ordre public, l’emploi de dissimulation, le caractère répété des actes et l’envergure de l’entreprise ; eu égard, d’autre part, à des facteurs minorants du fait de la révélation des faits par l’entreprise, de la pertinence des investigations internes ainsi que de la coopération active de la personne morale en amont de l’enquête puis lors de la phase de négociation de la convention.

S’agissant de la réparation du préjudice de la victime – c’est-à-dire de la direction générale des Finances publiques – les sociétés ayant régularisé leur situation fiscale, aucun préjudice n’est susceptible d’être indemnisé.

Enfin, de nouveau, l’ordonnance de validation de la CJIP n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation.

Pour conclure, il convient de noter que pour cette affaire fiscale, au demeurant particulièrement complexe, la CJIP a permis de clore ce dossier pénal en seulement 15 mois ! Ce délai tout à fait exceptionnel démontre l’utilité d’une telle procédure.

Maxime ROGER


[1] L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

[2] L. n° 2018-89823 oct. 2018, relative à la lutte contre la fraude

[3] C. proc. pén., art. 41-1-2

[4] CCP, art. L. 2141-1

[5] C. pén., art. 121-6, C. pén., art. 121-7, CGI, art. 1741 et CGI, art., 1742

[6] En effet, UNILABS FRANCE avait la charge d’identifier les projets et opportunités de recherche et développement, de coordonner les activités de recherche et de développement au sein des SELAS du groupe, suivre leur avancement, et de collecter les informations des SELAS nécessaires aux déclarations CIR. UNILABS FRANCE était ainsi instigateur et organisateur de la politique en matière de CIR.

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