La protection des droits de l’enfant par le juge administratif

Le 16 janvier 2025, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour manquement à ses obligations en matière de protection des mineurs non accompagnés. Les autorités départementales avaient refusé de reconnaître la minorité d’un jeune, le privant ainsi de la prise en charge à laquelle il avait droit au titre de la protection de l’enfance. Quelques mois plus tard, le 24 avril 2025, la France est à nouveau condamnée, cette fois pour avoir failli à son obligation positive de garantir un système pénal apte à réprimer les actes sexuels non consentis. La Cour a estimé que les juridictions françaises n’avaient pas suffisamment pris en compte la particulière vulnérabilité des requérantes, toutes mineures, dans leur analyse du discernement et du consentement.

Ces décisions, rendues à quelques semaines d’intervalle, s’inscrivent dans un contexte juridique et médiatique brûlant, marqué par une série de scandales et de critiques récurrentes visant l’ineffectivité de la protection de l’enfance en France. La mise en œuvre de cette politique reste lacunaire, comme en attestent les alertes successives de la Défenseure des droits, notamment dans la décision-cadre du 28 janvier 2025 soulignant les insuffisances systémiques de l’État dans ce domaine (1).

La protection de l’enfance, érigée en impératif social et moral, s’impose aujourd’hui comme un enjeu majeur du droit contemporain. Si le juge judiciaire demeure la figure traditionnelle de cette protection, le juge administratif tend à affirmer son rôle en la matière, en raison des conséquences concrètes que peuvent avoir les décisions administratives sur les droits de l’enfant. 

Dès lors, il importe d’interroger la manière dont le juge administratif contribue à la protection effective des droits de l’enfant.

Avant d’aborder le positionnement actuel du juge administratif en matière de protection des droits de l’enfant (III), il s’agit d’évoquer les types de recours possibles devant lui en matière de droits de l’enfant (I), et les contentieux les plus mobilisateurs (II). 

I. Les recours devant le juge administratif en matière de droits de l’enfant

La protection des droits de l’enfant ne relève pas seulement d’un engagement politique ou international : elle se manifeste également concrètement devant le juge administratif, garant de la légalité de l’action administrative. 

Dans ce domaine, ce sont principalement des recours dits « objectifs », et notamment les recours pour excès de pouvoir qui sont portés devant le juge administratif. Ces recours permettent d’apprécier la conformité d’un acte administratif aux normes juridiques supérieures, et peuvent conduire le juge à annuler des décisions administratives portant atteinte aux droits de l’enfant. 

Les requérants peuvent utilement invoquer des normes internationales protectrices des droits de l’enfant, au premier rang desquelles figure la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), texte fondamental en la matière. Toutefois, la portée de la CIDE est partiellement limitée par l’absence d’effet direct de certaines stipulations. Seuls quelques articles sont reconnus comme pouvant être directement invoqués devant le juge administratif. Il s’agit des articles relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant (2), au droit de quitter son pays (3), au droit d’être entendu (4), au droit à la vie privée (5) et aux règles entourant la privation de liberté.

Au-delà de ces recours au fond, le juge administratif peut être saisi de référés urgents. Le référé-suspension est en effet mobilisé pour suspendre l’exécution d’actes tels que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ou les refus de séjour. Le référé-liberté est également régulièrement utilisé par les justiciables et semble s’être imposé comme un outil central dans la protection des droits de l’enfant, notamment dans les situations de séparation familiale, de refus à l’hébergement d’urgence ou encore dans les cas de remise en cause du droit à la scolarisation. 

Pour illustrer ce panorama des recours devant le juge administratif en matière de droit de l’enfant, on peut évoquer quelques jurisprudences récentes : 

  • Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Mayotte a annulé les décisions implicites d’un maire refusant la scolarisation d’un enfant (6) (dans le cadre de ce litige, un référé-liberté ainsi qu’un référé-suspension avaient également été formés devant le juge) ;
  • Saisi du même recours, le tribunal administratif de Paris a annulé un arrêté du préfet de police obligeant un homme à quitter le territoire français, quand bien même sa filiation avec deux enfants mineurs était établie (7) ; 
  • Saisi d’un référé-liberté, le tribunal administratif de Nîmes a enjoint à un département d’assurer l’hébergement et la prise en charge du requérant telle qu’elle avait été ordonnée par le juge des enfants (8).

II. Les contentieux mobilisateurs des droits de l’enfant

L’office du juge administratif en matière de droits de l’enfant s’exerce principalement dans le cadre du contentieux des étrangers, où les décisions de l’administration peuvent porter atteinte à la vie familiale de l’enfant ou à son droit à une protection effective. Si la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en particulier son article 8 (droit à la vie privée et familiale) reste la norme de référence en la matière, l’article 3§1 de la CIDE est souvent invoqué à titre supplétif. Le juge est donc régulièrement amené à contrôler le respect de ces conventions, y compris lorsque la décision n’a pas pour objet premier la situation personnelle d’un enfant, mais affecte directement et de manière certaine leur environnement (9).

Si le contentieux des étrangers représente un volume important des recours portés devant le juge administratif, il ne s’agit pas du seul contentieux marqué par son intervention en matière des droits de l’enfant. On peut évoquer le contentieux relatif à l’éducation, et au droit à l’instruction. À ce titre, le juge a récemment rappelé l’obligation pour les communes de scolariser tous les enfants (10), et a été amené à encadrer les contrôles de l’instruction en famille, jugés conformes aux droits de l’enfant car assurant la garantie de l’enseignement (11). Le juge administratif intervient également dans les contentieux relatifs à l’hébergement d’urgence (12) et aux mineurs non accompagnés, que ce soit pour contester un refus de reconnaissance de minorité, une absence de mise à l’abri, ou un défaut de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance. Plus ponctuellement, il peut être amené à protéger les droits de l’enfant dans d’autres domaines.

III. Une jurisprudence récente révélatrice du rôle croissant du juge administratif 

L’intérêt supérieur de l’enfant tend à s’imposer progressivement comme une considération primordiale dans l’ensemble des juridictions françaises en matière de protection des droits de l’enfant, et le juge administratif n’échappe pas à cette évolution. Ce principe a vu sa portée juridique renforcée au fil du temps : reconnu d’effet direct par le Conseil d’État dès 1997, puis par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 mai 2005, il a été reconnu comme ayant valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC n°2018-768 du 21 mars 2019. 

Le juge administratif, garant de la légalité de l’action administrative, évalue désormais si l’intérêt supérieur de l’enfant a été réellement pris en compte. La jurisprudence récente témoigne de cette évolution. En 2024, à l’occasion d’un recours contre une décision préfectorale portant refus de délivrance de titre de séjour et obligation de quitter le territoire, la cour administrative d’appel a rappelé la portée de l’article 3 §1 de la CIDE qui impose aux autorités administratives d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions qui les concernent, ou qui affectent leur situation de manière suffisamment directe et certaine. La cour administrative d’appel a rejeté la requête puisque le requérant n’avait pas établi contribuer à l’entretien et à l’éducation de son fils, la décision attaquée n’ayant donc pas pu porter atteinte à l’intérêt supérieur de son enfant (9). La même année, dans un autre litige, le Conseil d’État a enjoint au ministère des Affaires étrangères de délivrer un laissez-passer à un enfant né d’une gestation pour autrui au Mexique afin qu’il puisse suivre ses deux parents en France, estimant que l’administration n’avait pas accordé une attention primordiale à son intérêt supérieur, en violation de l’article 3 §1 de la CIDE (13). Plus récemment, en 2025, un tribunal a annulé un refus de titre de séjour, estimant que l’administration avait porté une atteinte disproportionnée à l’intérêt supérieur d’une enfant scolarisée, en niant l’intensité du lien mère-fille et la stabilité du parcours de l’enfant en France (14). 

Ces jurisprudences illustrent l’approfondissement du contrôle exercé par le juge administratif en matière de protection des droits de l’enfant, qui apprécie concrètement et parfois largement l’intérêt supérieur de l’enfant, tenant compte, par exemple, de la stabilité de son parcours ou de la participation effective à son éducation.

Le juge administratif joue un rôle croissant dans la protection des droits de l’enfant, en particulier à travers la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, désormais régulièrement invoqué et reconnu. Ce mouvement s’inscrit dans une évolution progressive de la jurisprudence, marquée par une ouverture aux normes internationales telles que la CIDE. 

Lise FONTENEAU – étudiante en Master 1 de Droit public général, Métiers des contentieux publics

Sources 

(1) « Décision-cadre du 28 janvier 2025 – l’alerte de la Défenseure des droits sur la protection de l’enfance, Marine GOURWITZ, veille juridique du 27 février 2025

(2) Article 3§1 CIDE – Conseil d’Etat, 22 septembre 1997, n° 161364

(3) Article 10 CIDE – Conseil d’Etat, 1e avril 1998, n°155096

(4) Article 12 CIDE – Conseil d’Etat, 27 juin 2008, n°291561, Fatima A (revirement de sa jurisprudence  de CE, 3 juillet 1996, n°140872)

(5) Article 16 CIDE – Conseil d’Etat, 10 mars 1995, n° 141083

(6) Tribunal administratif de Mayotte, 29 mars 2024, n°2104055

(7) Tribunal administratif de Paris, 13 mai 2025, n°2427620

(8) Tribunal administratif de Nîmes, 12 février 2024, n°2400516

(9) Cour administrative d’appel de Toulouse, 23 janv. 2024, n°22TL21983 

(10) Jurisprudences du tribunal administratif de Mayotte du 29 mars 2024

(11) Conseil d’Etat, 2 avril 2021, n°435002

(12) Pour une illustration très récente : Tribunal administratif de Grenoble, 7 mars 2025, Bosanda, n°2502499 (hébergement d’urgence pour une mère et son nourrisson de 8 mois)

(13) Conseil d’Etat, ordonnance du 23 décembre 2024, Soyer et Garibay, n°499684

(14) Tribunal administratif de Rouen, 22 mai 2025, n°2500553

Code de l’action sociale et des familles

Code de l’éducation

Code de l’entrée et du séjours des étrangers et du droit d’asile

Code de la justice administrative

Convention internationale des droits de l’enfant – Unicef

L’enfant objet du droit public : au sujet de l’enfant arrimé au chapitre des « Droits de l’Homme », Pierre Yves Chicot, avocat à la Cour, 14 février 2018

La jurisprudence du Conseil d’Etat et les droits de l’enfant, Rémy Schwartz, juin 2010

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