Le 14 avril 2021, la Cour de cassation a une nouvelle fois été amenée à se prononcer sur la question de la liberté religieuse en entreprise, et plus particulièrement sur le port du voile.
A son retour d’un congé parental, une salariée se présente à son poste avec un voile « islamique ». L’employeur lui demande de le retirer mais la salariée refuse, elle est alors immédiatement placée en dispense d’activité avant d’être licenciée pour cause réelle et sérieuse.
La salariée va contester ce licenciement considérant qu’il est fondé sur un motif discriminatoire en lien avec ses convictions religieuses. Elle demande alors la nullité du licenciement ainsi que le paiement de diverses sommes.
La décision de première instance va être contestée et la Cour d’appel va faire droit aux demandes de la salariée. L’employeur va donc former un pourvoi en cassation au moyen entre autres, que l’absence de clause de neutralité est palliée par une politique de neutralité et que la différence de traitement répond aux exigences professionnelles essentielle, déterminante et proportionnée, poursuivant un objectif légitime, résultant de l’article L1133-1 du Code du travail et du droit de l’UE. Ou encore, selon le moyen que l’employeur est le seul juge de la cohérence de la tenue vestimentaire du salarié avec l’image de l’entreprise et qu’il ne peut donc pas, sauf abus, se substituer à l’employeur.
La question qui se pose est donc de savoir si l’employeur peut se prévaloir d’un licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse suite au refus de la salariée d’enlever son voile sur son lieu de travail.
La Haute juridiction va tenir un raisonnement conforme à sa jurisprudence en rappelant d’abord que le règlement intérieur ne comportait aucune clause de neutralité, dès lors l’interdiction de porter le foulard islamique est caractéristique d’une discrimination fondée sur les convictions religieuses de la salariée. La Cour ne s’arrête pas là et va interpréter le caractère déterminant et essentiel de la justification de l’employeur. Ce dernier se base sur « l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte portée à sa politique commerciale » pour restreindre la liberté religieuse de la salariée. Le juge énonce que :
« l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante ».
L’absence de clause de neutralité à laquelle s’ajoute un motif ne répondant pas à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, rendent donc le licenciement nul et le pourvoi formé par l’employeur va être rejeté par le juge.
A la lecture de cet arrêt on observe que, pour restreindre les libertés et droits fondamentaux du salarié, l’employeur doit nécessairement prévoir une clause de neutralité (I), à défaut la restriction aurait dû être motivée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (II).
I : Une clause de neutralité nécessaire
En vertu de l’article L1321-5 du Code du travail, l’employeur peut interdire le port de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail. Cette clause doit toutefois être générale, indifférenciée et exclusivement réservée aux salariés étant en contact avec les clients.
Une telle clause permettant d’écarter l’hypothèse d’une discrimination directe, c’est le premier élément que le juge doit vérifier. A défaut d’être inscrite dans le règlement intérieur, elle peut figurer dans une note de service soumise aux mêmes conditions.
Dans notre affaire, la clause est inexistante. Pour se passer de cette clause, l’employeur va arguer une « politique de neutralité » mais cela ne suffit pas. La clause est nécessaire et le juge a déjà eu l’occasion de l’énoncer dans un arrêt de juillet dernier (Cass.Soc. 8 juillet 2020 (18-23.743)). Le motif de la politique de neutralité est trop général et serait un raccourci « trop simple » pour l’employeur lui permettant alors de s’attaquer aux libertés fondamentales de ses salariés.
Par conséquent, « l’interdiction faite à la salariée de porter un foulard islamique caractérisait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de l’intéressée ».
La question qu’on peut se poser est de savoir si la clause de neutralité avait été présente et dûment rédigée, la teneur de la décision aurait été la même. C’est le célèbre arrêt Baby Loup (Cass. ass. plén., 25 juin 2014, n°13-28.369) qui nous permet d’affirmer que cette clause a un réel effet et permet de restreindre la liberté d’un salarié, attention toutefois à ce que l’objectif poursuivi soit légitime et proportionné.
Il est donc nécessaire, pour chaque employeur souhaitant se prémunir d’un tel litige, d’inclure une clause de neutralité dans le règlement intérieur (ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions).
La clause étant absente du règlement intérieur, il convient désormais d’étudier le motif de la restriction.
II : Une exigence professionnelle injustifiée
Ancré au sein du droit de l’UE mais également transposé en droit interne, le principe de liberté de religion interdit à l’employeur toute mesure discriminatoire fondée sur les convictions religieuses d’un salarié (l’article L. 1132-1 du Code du travail).
Exceptionnellement, l’article 4§1 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 permet à l’employeur de déroger à ce principe à certaines conditions. En effet, la discrimination ne sera pas constituée à condition que la différence de traitement relève d’une caractéristique constituant une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et proportionné.
Malgré l’absence de clause de neutralité, l’employeur avait encore une chance de s’en sortir. Encore fallait-il qu’il respecte les conditions posées par l’article 4§1 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000.
En l’espèce, la restriction est justifiée par l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale. Cette restriction permettait alors d’éviter à l’entreprise un préjudice, à terme, financier, au vu de l’impact qu’aurait eu le voile sur les clients.
La Cour de cassation a réfuté cet argument. Elle considère en effet que la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante ne saurait couvrir des considérations subjectives à l’image de la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client. Reprenant à juste titre la jurisprudence de la CJUE en la matière qui définit cette notion.
Ainsi, n’étant pas dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle, la justification de l’employeur ne constitue pas, en l’espèce, une exigence professionnelle essentielle et déterminante.
Dans cette affaire la Cour de cassation ne déroge pas à sa ligne de conduite en la matière. En effet, par un arrêt de principe rendu en 2017 (Cass. Soc. 22 novembre 2017, n°13-19.855), elle a déjà pu effectuer ce contrôle. Il s’agissait également d’une femme voilée dont l’employeur interdisait le port du voile face aux clients.
Cette décision est donc tout à fait logique d’abord au vu de la jurisprudence mais eu égard à la conséquence que pourrait avoir de tels agissements de la part de l’employeur.
« Le client est roi » ? Il semblerait bien que non. La liberté religieuse prévaut sur la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client, et le juge ne manque pas de le rappeler une nouvelle fois.
Cour de cassation, Chambre sociale, 14 avril 2021, Pourvoi nº 19-24.079
Haroun CHTATAR