La contrariété à l’intérêt social ne suffit pas à caractériser la nullité d’une délibération.

« Une délibération de l’assemblée générale des associés d’une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu’en cas de violation des dispositions impératives du livre II dudit code ou de violation des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d’un ou plusieurs autres associés. »

Chambre commerciale 13 janvier 2021 n°18-21.860

Dans un arrêt publié au bulletin rendu le 13 janvier 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé sa jurisprudence au sujet de la nullité des délibérations concernant les rémunérations des dirigeants.

En l’espèce, le gérant majoritaire d’une société et sa compagne, tous les deux associés, ont conclu une promesse de cession. Par la suite, deux délibérations en assemblée générale ont fixé le montant de la rémunération du cédant à 84 623, 05 euros. Lors de la réitération de la promesse, le montant de cette prime exceptionnelle a été mentionné. Le cessionnaire, devenu dirigeant, a refusé de verser ladite somme au cédant.

Dès lors, ce dernier assigna en paiement la société. Le dirigeant intervenant à l’instance demanda alors la nullité des délibérations octroyant la rémunération, invoquant un abus de majorité. Les juges du fond ont alors indiqué que les rémunérations étaient abusives. Pour les annuler, ils ont indiqué qu’elles étaient manifestement excessives et contraires à l’intérêt social.

Au visa des articles 1382 devenu 1240 du code civil et L235-1 du code de commerce, la Cour de cassation nous indique dans quel cas il est possible d’obtenir l’annulation de la délibération des associés, les seuls cas de nullité étant strictement encadrés.

Effectivement, il est possible de se fonder sur une violation des dispositions impératives du livre II du code de commerce ou une violation des dispositions qui régissent les contrats.

En outre, les magistrats nous apportent des précisions sur les décisions qui seraient contraires à l’intérêt social. Il est possible d’obtenir l’annulation d’une telle décision, néanmoins il faut en plus quelle soit frauduleuse ou prise par des associés qui abuseraient de leur droit afin de favoriser leurs intérêts au détriment des autres associés. En effet, la seule contrariété à l’intérêt social ne saurait suffire à obtenir l’annulation des délibérations.

La fraude ne peut être invoquée ici, puisque la décision de la rémunération litigieuse a été réitérée dans la promesse de cession que le cessionnaire a signé.

Cette solution s’impose comme une solution de principe, la Cour de cassation fait ici une application stricte de l’article L235-1 du code de commerce. Néanmoins, cette décision peut tout de même susciter des interrogations.

Il n’est possible de caractériser un abus de majorité, ce dernier se définissant comme une décision sociale contraire à l’intérêt général de la société et dont la seule finalité est de favoriser les membres de la majorité des associés au détriment de la minorité.

En l’espèce, la décision octroyant la rémunération a été prise à l’unanimité. Dès lors, l’associé minoritaire a consenti à cette prime et ne peut se considérer lésé. Il semble alors impossible de caractériser un quelconque abus de majorité.

Bien que la rémunération soit effectivement excessive, représentant treize fois le résultat de la société, il n’est possible de la remettre en cause sur ce fondement.

De manière générale, les décisions des délibérations prises à l’unanimité ne pourront que difficilement revêtir le caractère d’un abus de majorité.

Bien que la rédaction de l’article L235-1 du code de commerce ait été modifiée par la loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, la nouvelle rédaction de cet article ne semble avoir d’incidence sur cette solution, bien qu’introduisant la notion d’intérêt social dans le code de commerce, le législateur a pris le soin de préciser que sa seule violation ne saurait aboutir à la nullité des actes ou délibérations qui violeraient ledit intérêt.

Pour aller plus loin: Chambre commerciale 13 janvier 2021 n°18-21.860

Jeanne DEBETAZ et Maï-Lan TABORET

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