« Le jugement ouvrant le redressement ou la liquidation judiciaire d’une personne morale produisant ses effets à l’égard de toutes les personnes membres ou associés de cette personne morale et indéfiniment et solidairement responsables du passif social, le tribunal a l’obligation d’en tirer les conséquences en ouvrant une procédure collective à l’égard de chacun d’eux, sans qu’une prescription puisse y faire obstacle »
Cour de cassation, chambre commerciale, 08 septembre 2021, n°20-10.588.
Sur le droit des entreprises en difficulté et la société en nom collectif (SNC)
Le droit des entreprises en difficulté est un ensemble de règles dérogatoires au droit commun, en particulier au droit des obligations ainsi qu’au droit social, afin de résoudre dans un temps contraint les difficultés d’une entreprise.
L’ouverture d’une procédure collective suppose de démontrer des difficultés de nature à entraîner ou allant conduire à une cessation des paiements, c’est-à-dire à ce que l’entreprise ne puisse plus faire face à son passif exigible grâce à son actif disponible.
En droit français, les procédures collectives tendent à rassembler l’ensemble des créanciers d’une entreprise se trouvant en difficulté au sein d’une même procédure afin de les priver individuellement de leur droit d’agir contre celle-ci.
Il s’agit en ce sens d’une procédure organisant le règlement des dettes, la poursuite de l’activité et la liquidation éventuelle des biens d’une entreprise en difficulté.
La Société en Nom Collectif est une société de personnes, commerciale par la forme, dotée de la personnalité morale. Chacun des associés en nom collectif, qu’ils soient personne physique ou personne morale sont gérants, sauf stipulation contraire des statuts qui peuvent désigner un ou plusieurs gérants, associés ou non.
Aux termes de l’article L. 221-1 du code de commerce, les associés en nom collectif, qui ont tous la qualité de commerçant, « répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ».
Par principe les procédures collectives s’ouvrant au bénéfice de sociétés en difficultés ne peuvent concerner les associés directement, en effet ces derniers ne sont pas eux-mêmes soumis aux procédures collectives.
Auparavant, et selon la loi de 1985, un dispositif automatique de la procédure des SNC était prévu, ainsi les associés de sociétés en nom collectif faisaient de facto l’objet personnellement d’une procédure collective sur prononciation de la juridiction au préalable en charge de la procédure collective initiale de la SNC.
La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, dite loi de sauvegarde des entreprises, a fait disparaitre cet effet automatique.
Cette loi a en effet modifié les critères d’éligibilité aux procédures collectives, ne s’agissant plus de « commerçants » mais désormais de « personnes exerçant une activité commerciale » qui sont dorénavant susceptibles de bénéficier des procédures collectives.
Toutefois, les associés des SNC étant commerçants, ils n’exercent pas littéralement une activité commerciale dans ce cadre précis, puisque cette activité commerciale est exercée par la société elle même. Néanmoins la jurisprudence ( Cour de Cassation – Civ 2ème 5 décembre 2013 n°11-28092 ) reconnait aux associés d’une SNC la possibilité de faire l’objet d’une procédure collective tout de même à la condition que ces derniers se trouvent eux même en état de cessation des paiements.
Ainsi les créanciers de la société en nom collectif pourront librement agir de manière individuelle à l’encontre des associés en paiement de leur créance.
Sur la responsabilité indéfinie et solidaire des associés d’une SNC en Polynésie française.
Cependant, à la lecture d’un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 septembre 2021, n°20-10.588, n° 616 D, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a considéré que la procédure collective d’une SNC entraîne obligatoirement celle de ses associés. La Cour de cassation répondait dans cet arrêt à la question de droit consistant à savoir si la demande tendant à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’associé non-liquidateur d’une SNC dissoute étaitsoumise au délai de prescription quinquennale.
Les faits dans cette affaire sont assez ordinaires. Un jugement de dissolution est rendu le 16 juillet 2010 à l’encontre d’une société en nom collectif. Cette SNC est par la suite mise en liquidation judiciaire le 12 mars 2012 (soit deux ans après son jugement de dissolution) et, par conséquent, un liquidateur est désigné. Ce liquidateur, par une requête du 11 décembre 2018, sollicite la mise en redressement judiciaire d’un associé indéfiniment et solidairement responsable du passif de la SNC.
La cour d’appel de Papeete dans sa décision du 10 octobre 2019 fait droit à la demande du liquidateur et l’associé, mis en redressement judiciaire, forme un pourvoi en cassation contre cette décision. Le demandeur invoque l’acquisition de la prescription quinquennale prévue par l’article L.237-13 du code de commerce. On relève, à la lecture de l’arrêt, que plus de cinq années se sont écoulées entre le jugement d’ouverture de la procédure contre la SNC (2012) et la mise en redressement judiciaire de l’associé (2018). Or l’article L.237-13 du code de commerce dispose que « toutes actions contre les associés non liquidateurs […] se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société au Registre du commerce et des sociétés ». L’objection pouvait paraître sérieuse.
La Cour de cassation rejette le pourvoi dans l’arrêt cité ci-dessus rendu le 8 septembre 2021 et ne prend pas en considération l’argument invoqué par le demandeur.
Il convient de signaler, avant d’expliquer la décision de la Cour de cassation, que les règles antérieures à la loi de sauvegarde s’appliquent toujours en Polynésie française.
La Cour de cassation, au fondement de l’article L.624-1 du code de commerce dans sa version ancienne, estime que les juges du second degré ont retenu a bon droit que le jugement qui ouvre la procédure d’insolvabilité d’une personne morale produit ses effets à l’égard de toutes les personnes membres ou associées de cette personne morale et indéfiniment et solidairement responsables du passif social. Le juge doit en tirer les conséquences, et cela a un caractère obligatoire, en ouvrant une procédure collective à l’égard de chacun desdits associés et aucune prescription ne peut y faire obstacle. L’analyse paraît justifiée. Le demandeur au pourvoi alléguait une divisibilité entre le jugement d’ouverture de la procédure collective contre la SNC et d’éventuelles poursuites contre les associés. La lettre de l’article L. 624-1 du code de commerce in fine s’y oppose : « Le tribunal ouvre à l’égard de chacune d’elles [les personnes membres ou associées de la personne morale et indéfiniment et solidairement responsables du passif social] une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire selon le cas ». L’ouverture de ces procédures « dérivées » est obligatoire et l’invocation de la prescription ne saurait donc l’empêcher.
Pour aller plus loin : Cour de cassation, chambre commerciale, 08 septembre 2021, n°20-10.588.
Alyssa CARBONNEL et Simon GLATIGNY