Par un arrêt du 11 mai 2022, n° 21-16.992 de la 3ème chambre civile, la Cour de cassation a estimé possible la caractérisation d’un dol entre deux sociétés représentées par le même gérant.
En l’espèce, une société unipersonnelle, Fininvest, vend un bien immobilier à une seconde société, Vend’Immo, laquelle finance son acquisition en contractant un prêt. L’acte de vente ne fait intervenir physiquement qu’une seule personne, le même gérant représentant les deux sociétés. Par la suite, ce gérant cède l’ensemble des parts sociales qu’il détient dans la société Vend’Immo à un tiers. Le remboursement du prêt immobilier n’étant pas assuré, la banque fait délivrer à la société Vend’Immo un commandement aux fins de saisie-vente de l’immeuble.
Désormais contrôlée par un nouvel associé, la société Vend’Immo estime que son consentement à la vente, conclue par l’intermédiaire de son ancien gérant, avait été vicié par dol et assigne la société Fininvest ainsi que la banque en nullité du contrat de vente et du contrat de prêt. La cour d’appel de Douai caractérise le dol et prononce la nullité du contrat, notamment au motif que « le consentement de la société Vend’Immo, personne morale contractante, a bien été vicié en ce qu’il n’a pu s’exprimer librement mais par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de Fininvest ».
La décision est frappée d’un pourvoi dont les trois branches du moyen développent en substance un même argument : le dol d’une personne morale devant s’apprécier en la personne de son représentant légal, aucun dol ne saurait être caractérisé lorsqu’un contrat a été conclu par deux sociétés représentées par un même gérant.
Alors qu’il semblait pourtant solide, cet argument n’emporte pas la conviction de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi
« que le consentement de la société Vend’Immo, personne morale contractante, avait été vicié, n’ayant pu s’exprimer librement par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de la société Fininvest, M. [X] utilisant pour commettre cette manœuvre dolosive sa double qualité de gérant au sein des deux sociétés. »
On peut déceler de cet arrêt l’avènement d’une définition très originale du dol puisque traditionnellement celui-ci consistait en une tromperie et donc en la manœuvre permettant de faire croire au contractant qu’il obtiendra un avantage déterminant à son consentement mais qui en réalité n’existe pas.
On ne voit pas comment une personne peut-elle être victime d’un dol commis par son propre représentant. En effet, le dol suppose de tromper sur des faits ou du droit. Mais la tromperie exige l’intention et l’intention ne peut être caractérisée que dès lors que le trompeur est conscient du fait sur lequel il trompe. Comment peut-on donc justifier une telle décision de la Cour de cassation si la victime du dol est représentée par celui qui a commis cette tromperie ?
Il faut toutefois préciser que dans le cas d’espèce le gérant a vendu ses parts dans la société acheteuse quelque jours à la suite de la vente litigieuse de l’immeuble attaquée pour dol. En l’absence d’une telle vente, la question du dol ne se serait jamais posée à la Cour de cassation puisque le dol d’une personne morale s’apprécie en la personne de son représentant légal et que le changement de représentant légal à la suite de la vente est seul à pouvoir justifier cet arrêt surprenant.
La théorie de la représentation sous l’angle du mandat
La représentation est un mécanisme permettant d’imputer au représenté les actes souscrits par le représentant. Il s’agit donc d’engager le représenté par des actes relevant de la volonté du représentant et
non de sa propre volonté. Cela se traduit dans l’hypothèse de la gérance de société par la volonté du gérant engageant la société.
De ce fait si le gérant a commis un dol, celui-ci s’impute au mandant qui est la société venderesse. De l’autre côté le même mandataire a engagé la société acheteuse. En se résignant à un tel raisonnement on ne peut que réfuter la possibilité d’un dol commis par le représentant des deux parties du contrat.
Le consentement spécifique d’une personne morale
Le consentement d’une personne morale est spécifique dans le sens où son expression exige nécessairement la présence d’un représentant personne physique. De ce fait on peut déceler le risque d’une confusion entre la volonté du représentant et celle du représenté qui emporterait éventuellement une expression de la volonté du représentant au détriment de celle de représenté.
En effet, cet arrêt manifeste un critère qui n’a jamais été déterminant dans la caractérisation du dol. Il s’agit de l’intérêt de la victime du dol « n’ayant pu s’exprimer librement par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de la société Fininvest ».
Cette partie de la décision de la Cour met en avant l’intérêt de la victime qui à défaut de son existence le dol semble plus facile à caractériser. Toutefois, on ne peut dégager un principe jurisprudentiel d’une telle décision puisque cette impulsion de la Cour découle essentiellement du caractère spécifique du consentement de la personne morale et du risque de confusion entre la volonté du représenté et celle du représentant.
Pour conclure, l’intérêt n’a jamais été une condition de caractérisation du dol. Toutefois, l’absence d’intérêt peut factuellement porter à croire que l’expression de la volonté de la personne morale a été entravée au profit du représentant. On peut comprendre sous cette perspective comment se justifie cette décision de la Cour de cassation.
Khalil DHAOU