« Il résulte de l’article 1844-10, alinéa 3, du Code civil que la décision prise abusivement par une assemblée générale d’exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l’annulation. »
Cour de cassation, 1ère Chambre Civile, 3 février 2021 n°16-19.691
Dans un arrêt en date du 3 février 2021, la Cour de cassation a jugé que les délibérations des organes sociaux peuvent être annulées si elles constituent un abus de droit. L’abus de droit est défini comme un détournement de l’exercice d’un droit, de son but, par celui qui en use. Tel est le cas de la décision d’une assemblée générale de société d’exercice libéral par actions simplifiée d’avocats (SELAS) d’exclure un associé alors que l’assemblée avait seulement été convoquée pour prendre acte de la démission de celui-ci.
En l’espèce, un avocat associé au sein la SELAS était en arrêt maladie depuis février 2013 pour syndrome d’épuisement en lien avec le mode d’exercice de sa profession. Il a ensuite informé son intention de quitter le cabinet et, en octobre 2013, lui a adressé sa démission. Une assemblée générale extraordinaire a alors été convoquée au titre de cette démission (sur laquelle l’assemblée n’a pas statué). La SELAS a prononcé l’exclusion de l’associé démissionnaire au motif qu’il avait fait l’objet d’une « incapacité d’exercice professionnel pendant une période cumulée de 9 mois au cours d’une période totale de 12 mois. »
L’avocat a alors agi en annulation de cette résolution en sollicitant la rétrocession de ses honoraires et l’octroi de dommages-intérêts. La cour d’appel de Paris a rejeté ses demandes au motif principal que même si cette délibération était abusive, cela ne justifiait pas son annulation. Seulement l’allocation de dommages-intérêts pourrait être octroyée, à condition que le demandeur démontre le préjudice causé. La Cour de cassation a cassé ces dispositions.
Sur la capacité de l’assemblée générale d’exclure un associé
L’alinéa 3 de l’article 1844-10 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi PACTE du 22 mai 2019, dispose que « la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général. »
Il semble qu’il faille démontrer, outre l’atteinte à l’intérêt social, l’intention de nuire à l’intérêt de certains associés ainsi que la violation des dispositions légales s’imposant aux sociétés commerciales ou des lois régissant les contrats.
Tout d’abord, en l’espèce, la mesure prononcée à l’encontre de l’associé était « motivée par la volonté de résister à ses prétentions financières. » La Cour de cassation reconnaît ainsi qu’un juge peut estimer qu’exclure un associé pour éviter de devoir lui payer les sommes dues constitue un abus de droit.
Ensuite, selon la formulation donnée par la 1ère Chambre Civile, c’est parce que la décision d’exclure un associé a été prise « abusivement » par l’assemblée générale de la SELAS qu’elle « affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l’annulation », de sorte que toutes les résolutions adoptées par cette assemblée, et pas seulement celles conflictuelles, paraissent nulles.
En prononçant la nullité d’une décision pourtant prise en application des statuts, le juge indique nettement que l’assemblée générale ne peut disposer d’une pleine et entière liberté en la matière. En effet, l’assemblée générale, qui avait pris une mesure d’exclusion au lieu de statuer sur la démission seule inscrite à l’ordre du jour, avait manifestement agi par surprise prenant au dépourvu l’associé en cause.
Sur la nécessité de caractériser un abus de droit
Cependant, l’article L.227-1 du code de commerce qui dispose que la décision collective prise sur un point ne figurant pas à l’ordre du jour est susceptible d’être annulée ne s’applique pas aux SELAS. De ce fait, la caractérisation requise pour pouvoir constituer une irrégularité, et par conséquent l’annulation de la décision litigieuse, se situe dans l’abus de l’exercice du droit de vote. L’abus de l’exercice du droit de vote par les associés d’une société est une délibération de l’assemblée des associés, ordinaire ou extraordinaire, qui vicie la décision prise car elle est contraire à l’intérêt de la société et ne favorise qu’une partie des associés.
Même s’il est possible, qu’en s’abstenant de se prononcer sur la démission de l’associé et en décidant de son exclusion, la décision litigieuse ait été prise dans l’intérêt de la société, elle est jugée comme étant prise de manière abusive par les associés.
Il ressort de cet arrêt que lorsque le juge constate qu’une décision collective a été prise abusivement, il ne peut pas se limiter à octroyer des dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice subi par l’associé visé par la décision. En effet, le caractère abusif d’une décision d’exclusion emporte par lui-même la nullité, indépendamment du préjudice qui aurait été subi.
Pour aller plus loin: Cour de cassation, 1ère Chambre Civile, 3 février 2021 n°16-19.691
Emmanuelle LÊ